Non vous ne rêvez pas. On parle bien là d'un 10 français gestionnaire, capable de s'éclipser pour pouvoir faire briller ses partenaires, toujours juste, rarement responsable d'erreur coupable et gros défenseur. En face ? Un ouvreur anglais explosif, bien loin de l'historique flegme britannique, avec un goût prononcé pour l'attaque, capable de plusieurs extravagances sur les près. Alors certes, on grossit légèrement le trait, Romain Ntamack étant aussi apte à réaliser des exploits personnels tandis que Marcus Smith sait de son côté poser le jeu lorsqu'on le demande. Mais ce paradoxe est assez amusant, quand dans l'histoire de ce sport, l'ouvreur français a toujours été catalogué comme un joueur fait de prise d'initiative, a contrario du demi d'ouverture anglais, réglé comme une horloge, rarement capable de coup de génie mais diablement efficace. Puis surtout, Ntamack face à Smith, c'est le rendez-vous de deux têtes de gondole de la nouvelle génération, deux stars en devenir (si ce n'est pas déjà le cas) dans leur pays respectif. Un duel alléchant qui nous tient déjà en haleine. Et qui risque enflammer le Stade de France ce samedi pour l'apothéose du Tournoi 2022.
Tournoi des 6 Nations. Angleterre. En forme étincelante, Marcus Smith affole les statistiques
Retour en arrière. Juin 2018, Béziers. L'équipe de France des moins de 20 ans a rendez-vous avec son histoire. Elle affronte en finale de Coupe du Monde l'Angleterre qui venait de la battre quelques mois auparavant lors du Tournoi des 6 Nations. Afin d'optimiser au maximum les qualités de chacun, Sébastien Piqueronies aligne Louis Carbonel en dix, et décale Romain Ntamack en 12. En face ? Marcus Smith, jeune demi d'ouverture à qui est prédit un avenir radieux outre-Manche. Mais le jeune prodige britannique va se faire éteindre par la furia des locaux et par un Louis Carbonel en feu (33-25). Quatre ans plus tard, c'est désormais avec Romain Ntamack qu'il livrera duel sur la pelouse du Stade de France pour essayer de gâcher la fête à une nation qui attend depuis 12 ans un nouveau titre. Car entre temps, chacun a peu à peu éteint la concurrence à son poste. Le Toulousain est aujourd'hui au-dessus d'un Carbonel ou Hastoy, tandis que Jalibert, est en délicatesse avec sa cuisse depuis le début de l'année. De son côté, Smith s'est de plus en plus affirmé, reléguant au second rang ses principaux jeunes concurrents (Vunipola, Umaga et Simmonds même si ce dernier est plus âgé), ou même l'expérimenté George Ford. Il a su profiter de la blessure d'Owen Farrell, qui peut également jouer en 12, afin de se faire une place au soleil. Vous l'aurez compris, deux joueurs devenus leaders dans leurs équipes respectives, malgré leur jeune âge (tous les deux sont nés en 1999), symboles de cette jeune garde toujours plus précoce.
Un duel donc exaltant entre deux nouveaux phénomènes de la même génération, qui possèdent de sacrées similitudes dans leurs parcours. Mais pas forcément dans le jeu. Déjà de par le calme que dégage Ntamack quand Smith est très démonstratif, n'hésitant pas à sans cesse haranguer ses troupes. Comme évoqué précédemment, Romain Ntamack est un 10 plutôt distributeur, gestionnaire, capable de faire jouer derrière lui et briller les autres. La meilleure preuve ? Les deux dernières rencontres, notamment face à l'Écosse où il a su se mettre en retrait pour le collectif, délivrant une merveille de passe au pied pour Damian Penaud. Il n'est peut-être pas le 10 le plus offensif du circuit mondial, mais il est à n'en pas douter l'un des plus complets. Mais si l'on vante à juste titre sa propreté dans le jeu, sa faculté à n'avoir que très peu déchets, il est aussi doué, et peu se permettre quelques fulgurances. On pense à cette relance face aux Blacks bien sûr ou sa faculté à attaquer la ligne, comme sur l'essai de Dupont contre l'Irlande. Bref, il est aujourd'hui l'un des tauliers de ce groupe France.
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De son côté, avec Smith, le XV de la Rose a peut-être trouvé la pièce manquante à son système de jeu. Car le joueur des Quins est capable de sortir du cadre, d'un plan de jeu bien établi et reste LA menace anglaise aujourd'hui. Virevoltant, doté d'appuis redoutables, particulièrement à l'aise lorsqu'il s'agit d'attaquer la ligne, il est aujourd'hui bien loin d'un profil à la Owen Farrell ou même Jonny Wilkinson si l'on remonte à quelques années en arrière. Surtout, il s'est imposé au fur et à mesure comme l'un des éléments indispensables de cette équipe. S'il n'a pas l'expérience de Romain Ntamack au niveau international, Marcus Smith a su rapidement répondre aux exigences du haut-niveau. Une première sélection l'été dernier, puis une convocation avec les Lions Britanniques avant d'enchaîner deux titularisations face à l'Australie puis l'Afrique du Sud cet automne. À l'heure de l'écriture de ces lignes, il est tout simplement le meilleur réalisateur du Tournoi, loin devant Melvyn Jaminet. Stat encore plus significative, avec 63 unités inscrites sur les 88 de l'Angleterre tout au long de la compétition, Marcus Smith a marqué près de 72% des points de sa formation. Seul défaut ? Peut-être encore son manque de sérénité face aux perches, le numéro 10, malgré un taux de réussite élevé, faisant parfois preuve de fébrilité.
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Si l'on devait résumer, Ntamack aujourd'hui est l'ouvreur parfait dans un collectif qui marche sur l'eau. L'Angleterre, qui connaît quelques difficultés depuis quelques mois dans son jeu, peut s'appuyer sur la fougue de Smith. Une opposition de style qui promet au moment d'une rencontre déjà sur toutes les lèvres. Puis ce sont deux ''gueules'', deux joueurs qui peuvent marquer l'histoire de notre sport dans les prochaines années. Aujourd'hui nous n'en sommes qu'aux prémices, mais ce choc entre Ntamack et Smith, le premier chez les grands, nous donne déjà l'eau à la bouche.

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