Ce dimanche 19 septembre, un article de la Dépêche du Midi rapporte une parole du président du Stade Toulousain, Didier Lacroix, datant d’il y a une dizaine de jours. Ce dernier explique en conférence de presse qu’il envisage “une recapitalisation du club pour renforcer les fonds propres.” Il cite même un modèle économique bien particulier issu du monde du football et qui a tendance à en faire rêver certains, celui des “socios”. Cependant, si l’idée d’être financée par ses propres supporters peut sembler être idéale, elle réserve parfois quelques mauvaises surprises. Dans l’article de la Dépêche du Midi cité ci-dessus, Christophe Lepetit, économiste du sport, explique plusieurs détails liés à ce modèle. Il dit notamment : “C’est proposer des actions “Stade Toulousain” au grand public, à un tarif accessible. Mais c’est aussi, mécaniquement, et si les autres actionnaires ne renforcent pas leur position, faire diminuer l’influence des acteurs privés ou associatifs. [...] Faire entrer les supporters, c’est introduire un nouveau contre-pouvoir.”
Le Biarritz Olympique lance une augmentation de capital et sollicite ses socios pour rester en Pro D2
Qu’est-ce qu’un “socios” ?
Si ce modèle semble familier pour certains, le mot socios doit sembler bien barbare à d’autres oreilles. Mais alors, que représente ce mot ? Le terme définit un modèle économique pratiqué par plusieurs clubs de football, majoritairement ibériques et latino-américains. Il consiste en l’implication d’un certain nombre de supporters, cela peut aller jusqu’à plusieurs centaines de milliers, au sein de la gouvernance d’une entité sportive.
Aux clubs de football du Real Madrid ou du FC Barcelone par exemple, un supporter doit s’inscrire sur une liste d’attente et attendre plusieurs décennies avant d’espérer atteindre ce Graal. Une fois ce titre acquis, il obtient plusieurs pouvoirs. Celui d’élire le président du club et de bénéficier d’avantages sur la billetterie et les abonnements sont les plus connus. Mais il existe aussi d’autres aspects comme celui de la “motion de censure”. Elle permet de bloquer les actions du président ou de l’éjecter du pouvoir si un nombre important de ces socios signent cette dite motion. Ils ne sont pas cependant tout puissant, et ne peuvent pas interférer dans la gestion quotidienne du club ou bien encore dans les transferts de joueurs.
Pro D2. Des amoureux du SU Agen aux commandes du projet Aginnum
En Allemagne, un système similaire existe, mais ce dernier est imposé à tous les clubs qui évoluent à haut niveau dans le pays. Il est nommé le “50+1”. Selon cette règle, les investisseurs commerciaux ne peuvent pas posséder plus de 49% d’un club. À l’inverse, ce dernier est obligé d’être possédé à au moins 51% par ses supporters. Ainsi, en cas de litiges entre supporters et actionnaires privés, les premiers obtiennent gain de cause.
Le système d’Outre-Rhin a notamment été créé pour empêcher les investisseurs de prendre le contrôle du football allemand. Hans-Joachim Watzke, président du Borussia Dortmund, explique dans un communiqué de presse en 2016 que “les clubs qui cherchent des propriétaires ne tombent pas toujours sur des mécènes qui dépensent sans compter. La plupart des investisseurs ne recherchent qu’une chose : l’argent. Et où est-ce qu’ils le trouvent ? Dans la poche des supporters.” Des propos qui font échos avec ceux de Christophe Lepetit : “Face à des clubs adossés à des mécènes, comme le Racing, Toulon ou Montpellier, le Stade veut renforcer son modèle d’indépendance économique, qui repose avant tout sur des partenariats forts – dont Fiducial, reconduit jusqu’en 2023.” Ainsi, selon l’économiste du sport, le Stade Toulousain chercherait à se préserver des investisseurs privés et des mécènes.
Le rugby, précurseur de la Super League ?
Un modèle viable pour le rugby ?
Didier Lacroix expliquait également qu’il devait réfléchir “au mode de gouvernance qui en découle et aux droits qui sont octroyés” dans le cadre de cette hypothèse. En France, certains clubs essayent déjà de s’inspirer de ce système. Il y a quelques semaines, le Rugbynistère était allé à la rencontre des Aféciounas du CA Brive et d’Aginnum pour le SU Agen. Deux structures créées par des supporters qui partent sur une base commune, celle d’une “vraie-fausse structure de socios”. Leur but ? Intégrer le Conseil d’administration et pouvoir placer les supporters au sein de l’échiquier du club. Ici, pas de vote pour le président ou de motion de censure. L’intérêt est avant tout de créer une passerelle entre direction et passionnés du club. Le lien entre les deux acteurs ayant été plus que fragilisé par la pandémie de Covid-19. L'Aviron Bayonnais et le Biarritz Olympique possèdent également un système de socios.
Si certains clubs ont décidé de créer des partenariats avec des structures dans un premier temps indépendantes, un modèle de socios comme chez nos voisins du ballon rond est-il envisageable ? La réponse qui viendrait à l’esprit serait négative. Christophe Lepetit explique : “Il me semble peu probable que le club ouvre la totalité de l’augmentation de capital aux supporters, car cela ne générerait pas tant d’argent que cela. En revanche, s’il y a bien un club de rugby en France qui peut se permettre de faire appel aux supporters, c’est le Stade.” En effet, de manière générale le rugby ne mobilise pas assez les foules. Difficile d’imaginer que les supporters à eux seuls puissent supporter l’économie du club sur le long terme.
Les Aféciouna et le CA Brive, des coeurs de Coujous
Mais il est aussi impensable d’imaginer le Stade Toulousain abandonner ses partenaires historiques. Pour rappel, presque 75% du capital du club est possédé par l’Association Stade Toulousain Rugby et les Amis du Stade Toulousain, qui sont propriétaires de l’enceinte où évolue les rouges et noirs. L'idée selon laquelle le Stade Toulousain souhaiterait se séparer de ces derniers au profit d’un modèle 100% socios semble peu probable.
De plus, dans le cas d’un modèle similaire à celui du football, les présidents qui se présenteraient aux élections pour la présidence du club devraient posséder un certain pourcentage du capital du club. Généralement, la candidature à la présidence d’un club de socios nécessite que le candidat possède une trésorerie généralement équivalente à environ 10 à 20 % du capital du club au moment de sa prise de fonction. Le but étant que même en cas de mauvaise gestion, le navire ne puisse pas couler. La présidence sortante devant rembourser, à une certaine échelle, les pertes réalisées. Ainsi seules des personnes avec de bonnes finances pourraient postuler, ce qui ne semble pas être la volonté de Didier Lacroix à travers ce projet. Ainsi, une solution hybride semble être la plus plausible dans le cas où le club rouge et noir déciderait de faire appel à ses supporters.