À Toulouse, les expériences au Wallon restent toujours aussi mémorables, mais les déplacements deviennent, eux, pénibles pour certains. Tout du moins, c’est ce que des supporters observent depuis plusieurs mois. Le 11 décembre dernier, le match face au Munster en est une illustration. Ce jour-là, un épais brouillard accompagne le froid glacial de l'île anglo-saxonne. Malgré tout, certains supporters ont fait le déplacement. L’expérience qui en est ressortie pour certains est mitigée.
TOP 14. Le Stade Toulousain domine Pau, mais ça ne se laisse pas faire derrière !
Des joueurs moins disponibles
Floria est une supportrice assidue des rouge et noir. Malgré son déménagement en Allemagne, elle continue de suivre les performances de son équipe. Face au Munster, elle s’était rendue indépendamment en Irlande, l’association de supporters avec lequel elle partait en temps normal n’ayant rien organisé d’officiel pour l’occasion. Elle avait prévu de se rendre à Thomond Park dès l’annonce des groupes de l’édition 2022/2023 de Champions Cup. Face à l’épais brouillard, elle évoque un match compliqué à suivre, surtout en deuxième mi-temps, mais confie ceci : “[La météo] a créé une ambiance particulière, remplie de suspens et c'était plutôt drôle dans l'ensemble. D'autant plus que l'ambiance dans les tribunes, même s'il y a eu un peu de sifflets à un moment, était plutôt détendue et respectueuse.”
Derrière ce souvenir d’un match particulier, le goût laissé reste malgré tout amer. Pour quelle raison ? Aucun joueur toulousain n’est venu faire de tour d’honneur à l’issue du match. Regroupées avec “une vingtaine de supporters” en bas des tribunes, leurs interpellations n’auront eu aucune réponse. La supportrice complète en indiquant : “On les a vus se rendre vers les vestiaires dans un premier temps (après avoir félicité l'équipe adverse) puis faire demi-tour (sans qu'on distingue clairement ce qui se passe). Et nous avons eu beau donner de notre voix pour qu'ils viennent nous voir, ils ont fini par rentrer directement dans les vestiaires sans passer par nous.”
VIDEO. Champions Cup. Dans des conditions insensées, le Stade Toulousain domine le MunsterSi l’évènement peut paraître anecdotique, il est notamment l’addition d’évènements qui se répètent de plus en plus régulièrement lors des déplacements du club. Par ailleurs, Floria confirmait via les réseaux sociaux que la victoire historique à Clermont avait aussi été marquée par un tour d’honneur composé de “2 joueurs à 50 mètres” du public, le 1er janvier dernier. Le reste de l’équipe étant rentré au vestiaire directement au coup de sifflet final. Cette situation, devenue “récurrente” à l’extérieur, la supportrice l’évoquait ainsi lors d'un entretien réalisé à la mi-décembre 2022 :
Si ça n'avait été que sur ce match, j'aurais pu les excuser, mais le fait est que ce n'est pas la première fois et ça commence à être très frustrant pour les supporters faisant les déplacements. J'ai le sentiment que le Stade Toulousain en général ne prend plus le temps de remercier les personnes présentes au quotidien, qui plus est loin de chez eux, qui sont là pour les soutenir et les pousser, dans la victoire comme dans la défaite, à la maison comme à l'extérieur. Finalement, je ressens un cruel manque de reconnaissance et de respect.”
À diverses reprises, elle et d’autres supporters ont pu faire part aux principaux intéressés de leur mécontentement. Un dialogue qui n’a visiblement pas aidé ces derniers à comprendre l’absence de tour d’honneur au terme des matchs disputés à l’extérieur. Un acte toujours accompli par les joueurs à domicile, mais qui se fait de plus en plus rare lors des déplacements. D’autant plus qu’aucun incident majeur n’avait été observé à l’époque où il était effectué. En dehors de réflexions faites par certains supporters, notamment lors d’un déplacement à La Rochelle il y a plus d’un an. Cependant, ces justifications ne semblent pas satisfaire la supporter qui traduit “un profond sentiment d’indifférence” dans les dialogues qu’elle a pu avoir avec le président Didier Lacroix ou les joueurs.
Parmi les supporters toulousains, Floria n’est d’ailleurs pas la seule à avoir fait ce constat. Dorian est un passionné de longue date. Abonné au club depuis 11 ans, il avoue qu’il “il est rare [qu’il] rate un match”, il ajoute que “même en Afrique du Sud, [il trouverait] un moyen d'y aller.” En décembre, le passionné nous confirmait cette tendance observée à l’extérieur des enceintes toulousaines :
À Wallon non, aucun problème. À l'extérieur par contre, c'est rare d'avoir a minima un tour d'honneur, et encore quand ils viennent, c'est à 30 mètres de nous. Jamais de mots, un petit check, une photo comme on le voit ailleurs. C'est d'autant plus frustrant quand on a fait des centaines de kilomètres un dimanche soir. Surtout qu'à l'extérieur, au bus, on laisse souvent la place aux gamins de l'équipe adverse qui n'auront pas 50 occasions de voir nos joueurs. Et passé quelques photos, les joueurs sont agacés et tracent. Je comprends la situation à la sortie du bus, t'es fatigué et t'en a marre des gens qui sont là pour remplir leur insta, mais a la fin du match, pendant le tour d'honneur ça me parait être un minimum.”
Champions Cup. Derrière le brouillard, Twitter se moque des conditions de Munster - ToulouseEn comparaison, ce dernier affirmait qu’à “Toulouse les équipes adverses font toujours un tour d'honneur” et que “la situation date surtout du Covid, là où il ne fallait pas contact.” Il ajoutait ensuite : “Mais maintenant c'est fini, ils sortent en boîte après les matchs, donc ils peuvent nous approcher. Avant, si on les appelait, ils venaient, désormais, au pire, on a un petit applaudissement à 50 mètres.” Toujours en décembre, ce dernier étayait son témoignage. Il évoquait une “impression de parler à des murs” et se confiait ainsi : “On en avait déjà parlé à d'autres joueurs à la sortie du bus. C’est toujours le même discours, "désolé" et rien ne change. À Lyon, j'ai pu parler avec Lacroix. Il m'a répondu qu'ils faisaient systématiquement un tour d'honneur, quand je lui ai dit qu'ils en avaient fait seulement un en 5 déplacements, il m'a envoyé chier en me repoussant.”
Dans la discussion, il citait également deux cadres du Stade Toulousain et du XV de France avec qui il avait pu discuter : Antoine Dupont et Romain Ntamack. Dorian aurait rencontré les deux joueurs par hasard dans la rue, en tentant d’évoquer le problème. Ensuite, le passionné aurait discuté avec le demi de mêlée lors du match suivant à ce même sujet :
À Bordeaux, on buvait un coup sur le boulevard, au feu rouge devant nous, on tombe sur Dupont et Ntamack dans une voiture. On leur fait signe, ils n'ont même pas baissé la vitre. On ne voulait pas d’une photo, rien, juste les féliciter du match. On s'est approché et on a fait des gestes pour leur faire comprendre qu’il fallait faire au moins un tour d'honneur, qu’on était des milliers de Toulousains. Ils nous ont répondu qu'ils y penseraient, depuis, rien n'a changé.[...] J'ai entendu [que certains joueurs ne saluaient plus les supporters pour ne plus se faire siffler], Dupont m'a répondu que c'était pour ne pas se faire insulter. Mais ça sent la fausse excuse. Quand tu perds à l’extérieur, les locaux ne vont pas te siffler. Et les mecs qui ont fait 500 bornes un dimanche soir de température quasi négative non plus.”
En complément, le supporter ne peut s’empêcher de nous rétorquer : “Qui sur cette planète irait insulter ou siffler Dupont ?” Il livrait ensuite le ressenti d’un changement marqué dans les attitudes des joueurs toulousains et affirme que “l'accumulation va finir par en agacer”. Dans la même lignée, Dorian raconte que, contrairement à ce qu’il pouvait voir avant, les joueurs ne vont plus “à la Bodega, maintenant ça ne fait pas pro.” Néanmoins, l'indifférence qu'il constatait, lors de l'entretien réalisé il y a environ deux mois, n’est pas visible chez les autres clubs selon lui :
À chaque match du stade y aura des Toulousains, on s'est retrouvé à presque une centaine au fin fond de l'Irlande contre le Connacht en plein hiver. Et même s'il n'y en avait pas, je ne pense pas qu'il existe un stade où personne n'a envie d'applaudir la prestation de certains Toulousains, donc le tour d'honneur est un minimum, même pour les supporters adverses.[...] Mais après chaque match, sur les réseaux, on voit des club communier avec leur public, même dans des clubs comme le Stade Français Paris ou le Racing 92 qui ne sont pas réputés pour leur public. Ils font même souvent la fête ensemble, alors qu'ils ont pris 45 pions. Nous, on ne demande qu'un tour d'honneur.”
"Tous à la bodega" 🥳
— CANAL+ Rugby (@CanalplusRugby) February 25, 2023
La récompense pour les joueurs du @StadeToulousain après leur victoire face à Pau ! #STSP pic.twitter.com/Sh6BbyEdLT
En parallèle, lors de la réception de la Section Paloise ce samedi 25 février, Ugo Mola a invité l'intégralité de ses joueurs à se rendre à la Bodega après le match pour fêter la victoire. Face aux témoignages récoltés, pour la plupart, à la fin de l’année dernière. La Rédaction du Rugbynistère a contacté le club une première fois le 13 décembre 2022. Souhaitant initialement s’entretenir par l’intermédiaire de son président Didier Lacroix, le club a finalement fait usage de son droit de réponse via un communiqué qui nous a été partagé le 23 février dernier. Face aux précédents témoignages des supporters, le Stade Toulousain communique ainsi :
À l'issue du match Munster-Stade, il n'a pas dû vous échapper que les conditions climatiques étaient très mauvaises. Nos joueurs ont entamé un tour d'honneur, mais ils ont ensuite rapidement dû se rendre dans leur vestiaire, au chaud, pour éviter d'attraper froid et de tomber malade dans une période sportive importante. Concernant les tours d'honneur à l'extérieur, ils le font dès que possible, sans exception. Ce n'est pas toujours le cas de l'ensemble des formations…”
Une relation qui s'améliore au niveau associatif
Interpellée par le discours tenu par ces supporters, la Rédaction du Rugbynistère est allé questionner Jean-Marc Arnaud, au début du mois de janvier. Ce dernier est le président du Huit, l’une des principales associations de supporters reconnues par le club de la Ville Rose. Il nous confirme que la situation a basculé vers une relation plus froide depuis la pandémie de Covid_19. Mais tend vers la nuance en déclarant “qu’il ne faut pas attendre quelque chose des joueurs” et que les supporters sont là “avant tout pour les encourager”. Cependant, il ne peut s’empêcher de dire : “Le petit tour d’honneur pour saluer le public, ça ne donne pas mal au ventre hein. Surtout qu’on gagne assez régulièrement, y compris à l’extérieur, donc si l’on perdait, je comprendrais qu’il y ait de la frustration. Mais là, un petit coucou, ça ne fait pas de mal.”
Contrairement aux précédents témoignages, le président du Huit Toulousain nuance les rapports entretenus avec les joueurs. Selon lui, ces derniers seraient plus disponibles lors des déplacements à l’étranger. D’après le “contingent assez important de supporters faisant les déplacements” qui se déplacent avec l’association, les supporters “arrivent quand même à avoir des souvenirs avec les joueurs” en Coupe d’Europe. Pour les déplacements de Top 14, il décrit néanmoins une situation “frustrante”.
Au sujet des sifflets et insultes éventuels perpétrés à l’encontre des joueurs, Jean-Marc Arnaud pointe encore vers la nuance. Selon lui, le Stade Toulousain “a des supporters dans tous les stades”. Parmi eux, tous ne sont pas “des Toulousains ayant fait le déplacement” et ces derniers peuvent se permettre parfois des comportements moins appropriés. Leurs actions seraient alors perçues comme des vindictes venues de la totalité des passionnés prêts à faire le déplacement. Cependant, il affirme ne pas avoir eu de retours directs liés à des incivilités. Selon lui, les différents acteurs impliqués “englobent un petit peu tout”, ne prenant pas la peine de mesurer les réactions en tribune. Il ajoute aussi qu’au vu de la popularité du club et de ses résultats, “la critique est toujours facile avec le Stade Toulousain” et que la programmation régulière de matchs le dimanche soir n’aide pas à créer du lien avec les joueurs. Il complète : “Quand on jouait plus souvent le samedi à 15h, les joueurs venaient à la Bodega, mais avec les affiches du dimanche soir, c’est compliqué.”
Dans les travées d'Ernest Wallon, un club de supporters rugit depuis près de 25 ans : le HuitPlus en détail, Jean-Marc Arnaud évoque un dialogue rompu depuis bientôt 3 ans avec la direction du club. Selon lui, le rapport avec les supporters n’est plus le même “qu'au début de l’ère Ugo Mola”. Le président du Huit Toulousain est méfiant, il craint d’observer petit à petit un retour vers “la fin de l’époque Bouscatel et Novès, où il y avait de très vives critiques et où les joueurs snobaient les supporters.” Selon lui, Ugo Mola avait mis l’accent sur la communion avec ces derniers au début de son mandat avant qu’elle ne soit “petit à petit délaissée.” Cependant, cette situation n’est pas exempte de tout contexte et il tient à le souligner. Le Covid et les matchs à huis-clos peuvent être l’une des raisons selon lui.
Plus particulièrement, il explique que la crise et l’effort économique supplémentaire réalisé par certains supporters les pousse peut-être “à se sentir plus redevable”. Ce à quoi il répond que “l’on ne supporte pas une équipe pour en attendre quelque chose”. Et précise aussi qu’il fait une différence entre les passionnés et “les spectateurs” venant au Wallon. De son avis personnel, il confie :
Ce ne sont pas toutes les équipes qui ont la chance d’être en demi-finale tous les ans. Regardez les supporters de l’USAP, de Pau ou même de Bayonne quand ils étaient en Pro D2, ils envoient plusieurs bus à chaque déplacement. J’ai une pensée pour les Catalans notamment, ils sont dans le dur en ce moment, pourtant, ils ne cherchent pas à tuer leur équipe et ils sont vraiment derrière eux. Nous, la plupart râlent, car on n'est pas en demi-finale. Donc, il faut faire la différence entre le supporters qui soutient même dans la défaite et qui s’abonne de nouveau chaque année, pour soutenir son équipe, et le simple spectateur.”
Après avoir posé cette nuance, le dirigeant d’association pointe néanmoins du doigt des défauts d’organisation et des contraintes toujours plus grandes demandées aux groupes de supporters. Jean-Marc Arnaud évoque spécialement le fait que la billetterie des matchs est “ingérable” de leur point de vue. Selon lui, le club demande aux groupes de supporters de connaître le nombre de supporters présents à chaque rencontre des semaines à l’avance. Des demandes qui sont parfois réalisées alors que les dates précises ne sont même pas encore connues.
Coupe d'Europe. Joueurs comme supporters, ils attendent particulièrement ces matchs de rugbyDe plus, il confie qu’ils ont eu “une visioconférence pendant le Covid, puis plus rien.” Avec une absence de dialogue depuis presque trois ans, Jean-Marc Arnaud dévoile qu’il cherche à s’entretenir au plus vite avec l’institution afin de renouer les relations. Selon lui, certaines actions des associations de supporters ont quasiment disparu suite à cette absence de dialogue. Il détaille ainsi ses recommandations :
Auparavant, on faisait des animations les jours de matchs, plus particulièrement quand ils avaient lieu au Stadium. Aujourd’hui, il n’y a plus rien lors des délocalisations. Au Boxing Day, on était dans un stade plus grand et avec plus de monde, mais il n’y en avait quand même pas. Je pense que c’était l’occasion de faire quelque chose de fort. On a l’impression qu’on est devenu une vache à lait. On met des Food Truck, on prend de l’argent où on peut, mais quand il faut faire un clin d’œil aux supporters, ça n’existe plus. [...] Il y a des choses à mettre à plat, comme sur les tours d’honneur, mais il y a clairement des choses à redire aussi.”
Initialement contacté au début du mois de janvier, Jean-Marc Arnaud nous a cependant livré un retour bien meilleur le 23 février dernier. Il a évoqué le fait que “les choses avaient évolué depuis” et qu’une réunion “très productive” s’était tenue entre la première prise de contact et la publication du papier. S’il affirme de nouveau qu’ils étaient “complètement perdus” depuis le Covid, il nuance de nouveau son propos en précisant que “la machine n’a pas été facile à relancer après la pandémie” du côté de l’écurie rouge et noir. Désormais, le club et les supporters vont “travailler dessus ensemble” via des canaux de communication et de dialogue dédiés. En parallèle, le Stade Toulousain nous confirme que les associations de supporters ont “été reçus par (le) Président Didier Lacroix, au stade Ernest Wallon, le mercredi 15 février dernier, pour une réunion spécifique dédiée à leurs problématiques.” Le club déclare également que les activités occasionnelles mises en suspens depuis la pandémie avaient finalement eu lieu avec des associations “conviés, au même titre que l'ensemble de nos abonnés, aux soirées de lancement de saison le 19 septembre dernier ainsi qu'aux vœux/galettes des rois, en début d'année, le 25 janvier très précisément.”
J'ai quand même un problème sur le rôle du supporter qui serait uniquement de supporter son équipe quelque soit les événements.
Je ne suis pas d'accord. Les supporters ne sont pas des bénis oui oui chargés de chanter et acheter les produits dérivés.
Ce sont aussi des observateurs avec une capacité d'analyse, (des êtres humains en fait). Et quand ce qu'ils voient sur le terrain ou en dehors ne leur plaît pas ou n'est pas en adéquation avec les valeurs prônées par leur club je trouve normal de la manifester.