Les Irlandais impressionnent depuis plusieurs semaines. Leurs performances en novembre couplées à leur début canon face aux Gallois dans le Tournoi samedi dernier, laissent supposer que c'est la réelle équipe favorite de cette édition 2022 du Six Nations. Et c'est l'apport de son sélectionneur Andy Farrell qui y est pour quelque chose. Les années Joe Schmidt (2013-2019), marquées par des records au niveau des résultats (trois Tournois dont un Grand Chelem en 2018), mais également une approche rigoriste et froide des rencontres, sont en train petit à petit de laisser la place à la passion et à l'engagement mental. L'aspect psychologique, gros point noir irlandais lors des rencontres déterminantes (notamment les quarts de finale de Coupe du Monde), est en train d'être amélioré par le sélectionneur. Le match face à la Nouvelle-Zélande a montré un niveau d'engagement inédit et rare. Celui-ci peut-il suffire face à l'équipe de France ce samedi au Stade de France ? Techniquement parlant, le Trèfle dispose-t-il des armes nécessaires pour appréhender le jeu et notamment la défense de la France ?
L'attaque de l'Irlande
Il y a comme une évidence, un apport et une inspiration du rugby à Treize dans le jeu de l'Irlande. Et pour cause : son ancien sélectionneur n'était autre qu'une ancienne gloire de Wigan et du XIII d'Angleterre. Bien que cet apport se soit généralisé en Europe, surtout en Grande-Bretagne, le jeu irlandais a suivi le pas de ses voisins. Les courses en leurre, et redoublées dans le dos, sont monnaie courante, et utilisées presque à l'excès. Une stratégie qui en fait permet aux Verts de contourner une difficulté qu'ils rencontraient face à des rideaux défensifs compacts comme l'Angleterre ou le Pays de Galles.
Souvenez-vous du Tournoi des Six Nations 2019. L'Irlande, grandissime favorite, chute dès son premier match à domicile face à l'Angleterre (20-32). Que s'était-il passé ? En fait un terrible constat : l'Irlande n'avait physiquement pas les armes pour dominer tous ses adversaires. Elle peut se le permettre face à l'Écosse, l'Italie, le Pays de Galles aujourd'hui, mais elle devait trouver d'autres solutions face à des nations comme l'Angleterre ou la Nouvelle-Zélande. Dominés physiquement, et en panne d'idées, les Irlandais avaient, ce jour-là, fait illusion en première mi-temps, avant de s'effondrer en deuxième.
Arrêtés, avec une libération lente du ballon, les coéquipiers de Jonathan Sexton n'avaient plus d'énergie pour prendre la mesure de leurs adversaires, et assurer les déblayages rapides. Une attaque trop simple à lire devant la défense, où les Irlandais souhaitaient contourner la ligne adverse. Un des symptômes de cette attaque, était le comportement de Sexton. Celui-ci jouait loin de la ligne d'avantage adverse. En recevant le ballon arrêté, il n'impulsait aucune incertitude et permettait aux défenses adverses de glisser.

On le voit très clairement ici, la nonchalance de l'ouvreur irlandais. C'est une attaque beaucoup trop facile à défendre côté anglais.
Après la très décevante année 2019, où les observateurs ont pu constater les limites du jeu de Joe Schmidt, des évolutions étaient à apporter. Andy Farrell, a d'abord effectué des changements de profils à certains postes clefs. Si les Rory Best, CJ Stander, Peter O'Mahony, étaient évidemment de très grands joueurs, ils manquaient cruellement de vitesse et d'explosivité. Tout le contraire des Ronan Kelleher, Caelan Dorris et Jack Conan. Ces trois joueurs du Leinster, ultra mobiles, apportent du dynamisme au jeu. Autre profil qui posait un problème et dont le remplacement s'annonçait délicat : Connor Murray. Le numéro 9 du Munster, véritable métronome, ne collait plus aux attentes du niveau international. Le début de mandat de Farrell était déjà marqué par une rivalité avec John Cooney, demi de mêlée de l'Ulster. Ce dernier possède une capacité d'accélérer le jeu, là où Murray se contente de suivre un tempo imposé, mais trop lent pour surprendre l'adversaire. C'est alors que le choix de Jamison Gibson-Park s'est imposé. Originaire de Nouvelle-Zélande, le jeu irlandais a connu une très profonde mutation. Le laps de temps gagné par Park pour les libérations permet à l'Irlande de jouer plus prêt de la ligne d'avantage, et ainsi créer beaucoup plus d'incertitudes.
ANALYSE. Comment Jamison Gibson-Park a relégué Murray sur le banc et métamorphosé le jeu irlandaisLe changement dans le jeu s'est avéré être impressionnant.
Gibson-Park accélère le jeu, Kelleher fait un premier point de fixation dans l'axe, et Conan joue en pivot pour contourner la défense inversée néo-zélandaise. En plus de posséder des joueurs de talents, les Verts alternent leurs lancements de jeu. Il n'est pas rare du tout de voir Bundee Akhi ou Garry Ringrose en premiers receveurs, voir Hugo Keenan. Ces lancements sont préparés notamment dans le cas où Sexton serait au déblayage. Le changement de fonction de ce dernier, là aussi permet de fluidifier le jeu, et de garder du dynamisme. Face au Pays de Galles, l'action du premier essai offre un aperçu de la richesse de leur attaque. Si les Irlandais répartissent leurs avant en 3-3-2 (deux premières cellules de trois avants, et une cellule de deux avants), avec Sexton, Akhi et l'ailier Hansen gravitant autour, l'exemple de leur premier essai face aux Gallois montre à quel point il est difficile de défendre dans une situation pareille.

Gibson-Park possède un large choix. Que ce soit ses avants, Sexton en ouvreur, Ringrose en premier centre, toutes ces possibilités compliquent la tâche défensive aux Gallois. Qui plus est Mack Hansen disponible dans le dos de ses coéquipiers, cette variété de jeu permet à l'Irlande de se montrer efficace prêt des lignes.
6 NATIONS. Mack Hansen, l'Australie n'en voulait pas, les Irlandais en sont déjà tous dingues !
Un autre exemple dans le jeu courant, où l'on retrouve l'ossature de l'organisation.
Suite à la percée de Van der Flier, Gibson-Park renverse le jeu où toute la structure est déjà en place : une cellule de trois avants qui joue dans le dos pour Sexton, qui ensuite servira simplement ces trois quarts pour leur laisser le soin de gagner du terrain balle en main. Avec Porter et Hensen seuls sur leur côté, les Gallois sont obligés de diviser leur défense en deux. Jack Conan, seul avant dans le couloir des cinq mètres (avec Porter également seul, la cellule de deux se retrouve divisée), est utile de par sa puissance pour gagner son duel et permettre une libération plus facile.
La défense française
L'attaque irlandaise vue assez largement, il est intéressant alors de d'observer la défense française. Fabien Galthié, sélectionneur, apprécie la défense inversée, perfectionnée par le Gourou Shaun Edwards. Avec Gaël Fickou comme capitaine de défense, les Bleus font preuves d'un engagement féroce. Que ce soit pour les montées agressives vers le porteur de balle, ou les attitudes au contact du plaqueur ou assistant-plaqueurs, qui tentent de faire lâcher le ballon au porteur de balle, et par ailleurs le ralentissement des libérations.
Face aux All Blacks en novembre dernier, la France a fait preuve d'un niveau d'engagement qui est peut-être supérieur à ce qu'ont infligé les Anglais à l'Irlande en 2019. La chasse incessante à Aaron Smith ainsi que la volonté de récupérer le ballon sur chaque impact, ont eu raison de la Nouvelle-Zélande. Lorsque le jeu se déploie plus, avec Fickou en tête, les Bleus parviennent à fermer les extérieurs de manière remarquable. Et c'est peut-être là le plus gros défi pour les Irlandais ce samedi.
La France le véritable test
Si la Nouvelle-Zélande était un très bon révélateur du niveau de jeu des hommes d'Andy Farrell, le match face à la France sera encore plus important. Il s'agira de voir si enfin, l'Irlande peut s'imposer face à des défenses aussi solides et agressives que celles des Bleus et de l'Angleterre. Les deux équipes en formes, c'est un véritable combat qui s'annonce à Saint-Denis.
Là où les Irlandais préfèrent avoir une attaque structurée et organisée, les Français, eux, privilégient l'attaque dans les situations confuses, surtout avec les ballons de récupérations (le fameux jeu de dépossession). Mais, avec un nouveau statut à assumer, la France devra peut-être prendre le jeu à son compte. Et côté Vert, les formes olympiques de ces troisième-lignes, de sa paire de centre Akhi-Ringrose, seront un réel atout pour jouer face à une défense agressive adverse. Il faut alors peut-être s'attendre à ce que Jonathan Sexton prenne un poil plus de profondeur pour prévenir de l'agressivité française, et ainsi avoir plus de place pour déborder cette défense tricolore impériale. Il faut probablement aussi s'attendre à ce que ce dernier, use un peu plus du jeu au pied. Lors de la cinquième journée reportée du Tournoi des Six Nations 2020, l'Irlande avait stratégiquement trouvé comment prendre à revers la défense française grâce au jeu au pied. Sachant que c'est une force chez les Celtes, avec comme preneurs de balle aériens Andrew Conway ou Hugo Keenan, l'Irlande possède alors, sans doute, suffisamment d'armes pour contourner la défense du XV de France.
Post Scriptum : suite au forfait de Jonathan Sexton appris ce jeudi à midi, le jeu Irlandais changerait-il avec la titularisation de Joey Carbery ? Ce serait en tout cas un très grand défi imposé à l'ouvreur de 26 ans. Son entrée en jeu face aux Gallois, n'a pas tellement changé la nature du jeu irlandais. Il s'est parfaitement fondu dans la structure. Les animations offensives irlandaises sont restées sensiblement les mêmes.
De plus, Carbery possède l'avantage d'avoir d'excellents appuis. Un avantage qui lui permet de se sortir des plaquages adverses. À noter également qu'un certain Sexton avait explosé au plus haut niveau à l'âge de 26 ans…

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