Greig Laidlaw, Dan Biggar, Ma’a Nonu, Serge Blanco, Richard Astre, Jonah Lomu… Longtemps, les supporters ont fantasmé sur les joueurs qui composeraient le quinze de départ biterrois la saison prochaine. Le pronostic de Jonathan Best penchait, lui, vers Beauden Barrett, l’arrière des All Blacks et des Auckland Blues. : « J’ai lu dans la presse néo-zélandaise qu’il rêve de jouer avec moi. » Comme à son habitude, il ne manque pas une occasion d’ironiser sur l’actualité. Mais avec le refus des présidents actuels de céder le club à Christophe Dominci, tous ces rêves s’estompent. Mais pas l’engouement médiatique autour du club qui reste très élevé. Peu présent dans les médias depuis les premières rumeurs de rachat, alors qu’il est le premier concerné, le capitaine de l’ASBH s’est confié pendant une demi-heure au téléphone, avec sa franchise habituelle;, avant le retournement de situation concernant le projet de rachat.
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« Ça fait du bien de revenir au stade »
Le possible rachat du club a entrainé de nombreux débats sur les berges du Canal du Midi : devait-on vendre le club à des étrangers, de combien est la dette du club… Derrière toutes ces interrogations, la reprise de l’entraînement, il y a deux semaines, est passée au second plan. Après une série de tests médicaux d’usages, « tous négatifs a priori » selon Jonathan Best, les rouges et bleus ont retrouvé les terrains. Les joueurs sont les plus heureux de cette rentrée des classes confie l’ancien Grenoblois : « Ça fait du bien de revenir au stade, même si on ne voit pas grand monde. » En effet, sans vestiaires, sans croisements de joueurs et sans moment de vie commune, ce début de présaison se déroule dans une atmosphère particulière. Mais le Biterrois relativise : « On sait que les choses vont dans le bon sens et que, petit à petit, ça va repartir. »
Le grand absent de ce retour sur les pelouses est le ballon ovale, toujours confiné. Pour l’instant, les séances sont constituées de musculation et de physique par groupe de quatre joueurs répartis par capacités physiques, donc souvent par poste. « C’est un peu difficile puisque pendant trois mois on n’a pas fait grand-chose, et là, on se retrouve sur des intensités importantes », concède l’Héraultais. La préparation va être très longue cette année et le joueur prône la patiente. Si le confinement et l’arrêt du rugby ont été difficiles à vivre, cela a fait du bien à un groupe de joueurs que l’on qualifiera « d’expérience ». Dans le lot, à bientôt 37 ans, le seconde ligne confirme : « Ça fait longtemps que je suis dans le rugby pro. Les articulations ont pas mal souffert. Donc, cette longue pause a permis aux organismes de se régénérer. »
La Pro D2, un championnat en constante expansion
Lors de la saison 2006-2007, le jeune Jonathan Best joue sa première saison en Pro D2, au sein d’un Grenoble fraichement promu. À cette époque-là, six équipes actuellement en Top 14, La Rochelle, Toulon, Lyon, Pau, Bordeaux et le Racing, évoluent dans l’antichambre du rugby français, tout comme Limoges et Gaillac. Quatorze années plus tard les temps ont bien changé. Sous son maillot rouge et bleu, l’international algérien s’apprête à jouer sa onzième saison dans cette division, qu’il connait par cœur. Pour lui, le niveau du championnat et des joueurs qui le fréquente a considérablement augmenté. En cause, l’arrivée massive de joueurs étrangers en Top 14. Cela a poussé de nombreux joueurs, remplaçants dans les clubs de l’élite, à aller chercher du temps de jeu un cran en dessous. La Pro D2 est, selon son avis, un excellent moyen de relancer sa carrière. De nombreux exemples existent, comme Alexis Palisson qui vient de signer à Colomiers.
[POINT TRANSFERT] Palisson vers Colomiers, Brice Mach en Nationale, Goneva au Stade MontoisJonathan Best a, lui aussi, fait le pari Pro D2 pour redonner de l’avant à sa carrière, après son départ de Grenoble, en 2017. Il ne manque pas de rappeler que, si la seconde division peut relancer une carrière, elle peut aussi la lancer. Félix Lambey, Thomas Ramos, Demba Bemba… Tous ces joueurs ont bénéficié de prêts en Pro D2 au début de leur carrière, respectivement à Béziers (2016), Colomiers (2017) et Brive (2019). Il confirme, ce championnat est « un bon tremplin pour les jeunes qui veulent avoir du temps de jeu et progresser avant d’aller en Top 14 ». Mais pour les moins jeunes aussi, comme le montre l’arrière de Montpellier et de l’équipe de France, Anthony Bouthier, encore licencié à Vannes, il y a un an.
''La semaine cardio, le week-end un peu apéro'', le confinement d'Anthony Bouthier [VIDEO]L’autre changement dans la Pro D2 c’est l’apparition de nombreux clubs dans le rugby professionnel, comme Nevers ou Soyaux-Angoulême. Cela rajoute de longs et périlleux déplacements dans des stades régulièrement remplis. Cela ne surprend pas Jon Best : « Ces clubs sont dans des zones désertées par le rugby professionnel. Ces équipes, Vannes ou Nevers par exemple, ne rassemblent non pas une ville ou un département, comme dans le sud-ouest, mais une région. » Ce mélange entre des clubs émergents et des bastions historiques du rugby français, tel que Biarritz ou Béziers, donne un championnat assez homogène. Ce que confirme le Biterrois qui parle d’un « championnat très dense avec des résultats variables d’une semaine sur l’autre. C’est ce qui fait son charme ».
Alors que la crise économique liée au Covid-19 a touché plusieurs clubs de Top 14, elle ne semble pas avoir affecté la Pro D2. De nombreux clubs ont recruté à tour de bras. Notamment Rouen et Valence-Romans, deux clubs promis à une relégation certaine la saison dernière, à moins d’un miracle, miracle qui s’est produit. Les Normands ont réussi à attirer, notamment, Carl Fearns (ex-Lyon) quand le club aux damiers a offert un contrat à Jody Jenneker (ex-Castres) entre autres. « Quand on voit les recrutements de certains, on se dit que ça va être un championnat très attrayant analyse l’ancien Grenoblois, avant de continuer, ça fait plaisir de jouer contre ces joueurs-là mais cela va être compliqué, il va falloir se préparer ». Un championnat homogène sur le papier, de plus en plus de noms connus venus se relancer, des jeunes qui viennent se faire un nom… Si le joueur de l’ASBH ne pense pas que la Pro D2 soit plus passionnante à suivre que le Top 14, il ne la pense pas moins ennuyante : « Quand on a arrêté le championnat, bien malin était celui qui pouvait citer les noms des clubs qui allait se qualifier pour les phases finales, avec encore une dizaine d’équipes en course. C’est ce qui fait l’attrait de ce championnat, avec des montées qui sont très dures à aller chercher. Il faut continuer pour attirer les spectateurs et les téléspectateurs. »
« J’espère que l’on pourra vite se reconcentrer sur le ballon »
Revenons à Beauden Barrett. Il y a quelques jours vous seriez en train de lire qu’il faisait fantasmer les futurs présidents de l’ASBH et les supporters. Mais le 23 juin, l’ASBH a annoncé avoir rejeté le projet de reprise de Christophe Dominici et des actionnaires du Golfe. Les co-présidents Pierre-Olivier Valaize et Cédric Bistué ont préféré confier les rênes du club à René Bouscatel, ancien président du Stade Toulousain entre 1992 et 2017 et un de leur proche, Louis-Pierre Angelotti. Cette information, le capitaine de l’ASBH, l’a su grâce aux médias, ce qui l’énerve : « Nous sommes les premiers concernés et nous avons appris beaucoup d’informations par la presse. » Un manque de communication avec sa direction ? « Parfois le président me donne des coups de fils, mais il ne me dit pas tout » affirme-t-il. Comme il l’a fait avec deux autres cadres du vestiaire, Jean-Baptiste Barrère et Marco Pinto-Ferrer, le potentiel repreneur de l’ASBH a, lui aussi, appelé Jonathan Best pour lui exposer son projet de reprise du club. Un échange constructif selon les dires de l’intéressé : « Oui il m’a appelé il y a trois-quatre semaines. Les joueurs, nous sommes quand même les premiers concernés car c’est nous qui portons le maillot. Il m’a dit qu’en cas de reprise par les Émiratis, il ferait très attention avec les joueurs car il sait que, derrière, il y a des familles. J’espère qu’il fera les choses correctement et qu’il tiendra sa promesse. »
Béziers : en colère, Dominici règle ses comptes, et promettait un recrutement XXLLa situation actuelle, le joueur biterrois la résume en quelques mots : « C’est le flou artistique. » Très agacé, le capitaine du club souhaite, simplement, « que la situation soit fixée et que l’on sache avec quels joueurs et quel staff on va travailler. Aujourd’hui, on ne se concentre plus du tout sur ce que l’on doit faire, jouer à la baballe. Tout le monde se disperse, c’est assez usant ! » Cette situation extra-sportive fait, donc, son entrée sur le terrain. Avec des entraîneurs incertains, Rodrigo Roncero et Juan Martin Hernandez auraient donné leur accord à Christophe Dominici, difficile de se projeter sur la saison prochaine. « On n’a pas pu fixer d’objectifs avec le staff car même eux ne savent pas s’ils vont rester… », avoue, désespéré, Jonathan Best. Cependant, il espère que cette histoire serve de motivation à ses coéquipiers au moment de la reprise du championnat : « Je pense que toute cette histoire de rachat doit nous servir de motivation pour montrer qu’avec Jonathan Best et Victor Dreuille à la place de Ma’a Nonu et Beauden Barrett on peut faire une belle saison ! Une équipe ce n’est pas que des individualités, c’est aussi des mecs qui veulent jouer ensemble »
Depuis plusieurs semaines la dette de l’ASBH est au cœur des discussions. Elle varie de 2,5 à 7 millions d’euros, en fonction de l’interlocuteur. Mais cette situation n’effraie pas plus que cela l’Héraultais : « On a été rassuré sur cette partie-là par nos présidents. On a envie de les croire car, a priori, c’est eux qui vont continuer, ou qui seront dans l’environnement du club. » En revanche, ce qui l’interpelle, c’est l’acharnement des médias, concernant ces questions économiques, sur son club et pas sur les autres : « Je pense qu’il y a d’autres clubs professionnels en France qui ont des situations compliquées. Pourquoi se focalise-t-on sur Béziers alors qu’il y a d’autres équipes dans lesquelles il faudrait mettre le nez dans les comptes ? » Alors, dans cette situation inédite, que souhaitent les joueurs : « Nous ce que l’on veut c’est que l’on nous foute la paix et que l’on arrête de parler de nous ! Depuis deux mois on ne parle que de Béziers. »
Depuis l’annonce du projet de rachat du club, tout le monde est en conflit avec tout le monde à Béziers. Et les multiples situations de ses derniers jours ne vont pas arranger la situation… Les actuels présidents ne semblent pas apprécier leurs potentiels successeurs. L’inverse n’est pas faux non plus. L’association ASBH en profite pour régler ses comptes avec la SASP, à qui elle réclame un manque de moyens ainsi que de l’argent. Certains supporters, et notamment l’association Rugbiterre, ont annoncé arrêter les encouragements tant que l’équipe dirigeante actuelle reste en place. Le départ de Fabrice Granal, l’homme sous le costume de la mascotte « Lou Camelou », sommé de partir par ses dirigeants, a profondément attristé les supporters. Une situation, aussi inédite que difficile, pour les joueurs, réduits à un rôle de spectateurs, alors que ce sont les premiers affectés. En bon capitaine, Jonathan Best essaye de calmer le jeu : « Tout le monde veut que le club perdure. Il faut que les supporters comprennent que nous, joueurs, nous subissons la situation. S’en prendre à nous en ne venant pas au stade cela ne sera pas nous aider. J’espère que tout le monde mettra un peu d’eau dans son vin. La ville de Béziers a besoin de rugby. »
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Un dernier tour de piste avec la sélection ?
Le Biterrois ne le cache pas, à l’issue de son contrat, en fin de la saison prochaine, sa carrière de rugbyman professionnel sera achevée. Mais après quinze années à défendre les couleurs rouges et bleues, à Grenoble puis Béziers, va-t-il disputer son dernier match sous les couleurs vertes et blanches ? Non, le joueur n’a pas prévu une ultime pige à la Section Paloise, ou au Benetton Trévise. Depuis 2017, il est international algérien. « C’est une formidable aventure humaine avec la sélection et je regrette de ne pas y être allé avant », avoue-t-il. Au mois de juin, il aurait dû se tenir deux échéances très importantes pour l’Algérie. Dans le cadre de la Coupe d’Afrique, il était prévu un déplacement en Ouganda et la réception du Sénégal, pour ce qui devait être le premier match officiel du XV aux deux lions sur son sol. De quoi laisser des regrets au seconde ligne car, ce match, devait être « un énorme moment avec les gens qui aiment le rugby en Algérie, et il y en a de plus en plus ». Cette rencontre doit être un acte fondateur du projet de jouer la Coupe du Monde 2023 dans l’hexagone. Tout un pays espère que ce match sera reporté l’année prochaine, pour ce qui pourrait être le dernier de Jonathan Best. Mais, pour l’instant, il ne rêve pas d’une fin heureuse en vert et blanc et se consterne devant la situation des rouges et bleus. Il le sait, et il le dit amèrement : « on n’a pas encore fini de parler de nous… »