Le rugby est rempli d'histoires. Et tout le monde n'a pas la mémoire et le vécu de feu Pierre Tchernia. C'est au hasard d'une recherche que celle de Jean-Philippe Pradaud est venue à notre connaissance. En 2010, ce pilier franco-australien se destinait à devenir un Wallaby. Vous imaginez bien que si un joueur originaire de Wallis-et-Futuna avait porté le maillot de la sélection australienne, la presse lui aurait consacré de nombreux articles. Figurez-vous qu'il a bien défendu les couleurs de sa patrie d'adoption. C'était en 2011 lors de la Coupe du monde des moins de 20 ans en Italie. Cette année-là, JP, comme les Australiens l'appelaient, a affronté l'équipe de France de Plisson, Galan, Lesgourgues, Barraque, Palis ou encore O'Connor. Avec à la clé, une victoire 30 à 17 des Aussies menés par un certain Michael Hooper. Jean-Philippe, qui avait été titulaire auparavant contre les Fidji, n'a joué que quatre minutes. Mais c'était une rencontre ô combien symbolique pour lui.
Crédit image : francetvinfo.fr
À l'âge de 18 mois, Jean-Philippe Puluiuvea, son nom en néo-calédonien, est adopté par son oncle et sa compagne australienne. Il a notamment pour cousin Romain et Sébastien Taofifenua, qui évoluent en Top 14 sous les couleurs du Rugby club toulonnais. Mais ce n'est pas vers la France, où Toulouse et Biarritz lui font de l'oeil selon La Croix, que se tourne son regard mais plutôt vers l'Océanie et surtout l'Australie. Il y déménage à l'âge de 11 ans avec sa mère lorsque ses parents se séparent. Et commence par la même occasion le rugby du côté des Dolphins de Noosa dans le Queensland. "J'adorais l'idée que c'était un domaine dans lequel je pouvais y aller à fond et ne pas me retenir". Malgré son physique impressionnant (1m87, 120 kilos), Jean-Philippe est un joueur mobile qui sait aussi manier le ballon. Pourtant, il a bien failli ne pas jouer au rugby.
Quand j'avais 15 ans, je suis allé dans une très bonne école grâce à une bourse basée sur mes performances en aviron et mes compétences en rugby. J'ai vraiment apprécié pratiquer les deux sports dans cette école. Mais au fil du temps, mes compétences en rugby ont grandi et j'ai grandi. J'ai donc dû choisir un sport, à savoir le rugby. Quand j'ai quitté l'école, on m'a proposé un contrat d'académie avec les Reds du Queensland. Ensuite, j'ai eu la chance d'obtenir plus de contrats au fil du temps.
Son parcours sportif va le mener au Saint-Joseph Nudgee College à Brisbane puis à la Western Force Academy à Perth en 2010. Là-bas, il y côtoie un certain James O'Connor, qui deviendra plus tard l'un des meilleurs joueurs australiens de sa génération. Cette année-là, JP manque pour sa part de jouer la Coupe du monde junior. "Je n'étais pas au niveau, pas assez prêt physiquement, confiait-il à la presse locale à l'époque. Il a fallu l'encaisser. Puis j'ai fait de l'édition 2011 un objectif décisif." Il rejoint alors l'académie des Brumbies, qui évoluent en Super Rugby, mais ne se projette pas plus loin que le Mondial des moins de 20 ans en ne signant qu'un contrat d'un an. Pourtant, il rêve de porter le maillot des Wallabies. "Tous les joueurs rêvent de jouer pour leur pays." Et dans son esprit, c'est l'Australie où il a grandi et été formé. En 2012, il l'a effleuré des doigts lorsqu'il a été retenu par les Brumbies pour affronter le Pays de Galles, vainqueur du Tournoi, alors en tournée en Australie. Mais son parcours professionnel et personnel va finalement l'envoyer vers la France. "C'était une grande opportunité. Poursuivre ce rêve n'était pas possible à ce moment de ma vie. Je n'étais tout simplement pas prêt pour cela. J'ai tout de même beaucoup appris et j'ai grandi davantage en tant que joueur de rugby."
Il explique que la France lui a offert ce que l'Australie ne pouvait pas. "Je suis venu en France pour avoir une qualité de vie avec le rugby. En Australie, c'est tout ou rien, mais en France, vous pouvez avoir à la fois une vie et le rugby." Il lui a fallu du temps pour réaliser que ce qui avait de l'importance à ses yeux ne tournait pas autour du ballon ovale. "Quand vous êtes plus jeune, vous ne réalisez pas qu'être bon sur le terrain ne fait pas tout. Il m'a fallu un certain temps pour comprendre que mon temps passé sur le terrain de rugby ne représente que 0,79% de la semaine. Et ce qu'on fait le reste du temps, ça compte vraiment." En 2014, alors âgé de 23 ans, il quitte donc les Canberra Vikings pour la Charente et le SA XV, tout juste promu en Fédérale 1. "Ce n'était pas difficile de trouver un club en France. Il existe différents niveaux de jeu et beaucoup plus de clubs que l'Australie où seulement cinq franchises offrent de vraies perspectives. Je suis aussi citoyen français donc ce n'est pas comme si j'avais choisi un pays étranger." Comme l'Australie, la France est aussi sa maison.
Il ne jouera finalement que deux matchs avec Soyaux-Angoulême face à Vannes, où il avait été titulaire, et Saint-Sulpice-sur-Lèze. "J'ai fait un an à Angoulême, m'adapter au rugby français a été une sacrée tâche. J'ai eu beaucoup de blessures parce que je n'avais pas fait de pause donc mon corps était assez fatigué." C'est à Lannemezan qu'il a ensuite posé ses bagages et vraiment pu profiter du rugby dans l'Hexagone. De quoi lui donner à nouveau des ambitions sportives. "Je voulais plus," admet-il. Il sera approché par Pamiers lors de sa deuxième année à Lannemezan. "Ils étaient dans notre poule et avaient des beaux objectifs qui correspondaient aux miens", explique-t-il. À savoir vivre du rugby tout en ayant un équilibre dans sa vie. Ce que le rugby professionnel ne permet pas toujours.
Entrer dans le rugby professionnel est un parcours du combattant. Il y a beaucoup d'obstacles comme le maintien de votre corps, la nutrition, le dévouement personnel à l'entraînement, avoir une bonne santé mentale, passer par les refus des sélections des clubs que vous souhaitez intégrer sans parler de la gestion des blessures. Le rugby pro, c'est aussi les contrats, les assurances supplémentaires et les investissements, des choses auxquelles les gens ne pensent pas.
Installé aujourd'hui du côté de Pailhès dans l'Ariège, Jean-Philippe est à des années-lumières de tout ça. "En ce moment, je rénove ma maison que j'ai achetée dans un très petit village appelé Pailhès. Je crée de bonnes amitiés et en appréciant la vie quotidienne avec ma femme et mes enfants. C'est important pour moi d'avoir cet équilibre entre le rugby et ma vie." Un équilibre qui manquait à sa vie d'avant et qui aurait pu le pousser à raccrocher les crampons. "Maintenant, la renommée ou le statut ne sont plus importants pour moi, la vraie vie l'est. Tout en me disant que j'ai quand même réussi dans ma carrière de joueur." Il faut dire qu'il a appris à relativiser. En 2018, une blessure à la hanche sur un plaquage lors d'un match contre Villefranche de Lauragais, raconte Rugby Amateur, a bien failli le pousser vers la sortie.
Il a été victime d'une luxation et double fracture de la hanche gauche comme l'indique La Dépêche, et un premier médecin lui indique qu'il en a terminé avec l'ovalie. "Ma jambe a remonté d'au moins 5 centimètres". Un second chirurgien sera plus optimiste. Après une nouvelle opération et six vis posées, il lui donne quatre mois pour remarcher. Mais Jean-Philippe est un battant. "Après cet accident, je n'ai pas pensé à arrêter le rugby." Suite à son séjour à Capbreton, il a pu rejouer dans la saison et aider Pamiers à retrouver la Fédérale 1 puis à se hisser jusqu'en demie. Avant d'être battu par Issoire, futur champion. Capable de jouer aussi bien en première ligne, qu'au centre ou bien avec le numéro 8 dans le dos, il souhaite encore aider le SCA du président Jean Philippe Sannac à remporter de beaux succès avant de pourquoi pas boucler la boucle en retournant sur la terre de ses ancêtres. "Un projet à Wallis me tient toujours à cœur".
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