Le rugby est-il un sport d'intellos qui est la mythologie des philosophes ? Ou un rassemblement de gros bourrins juste bon à se balader braillards et à moitié ivres, torses nus en short et chaussettes de rugbymen déclassés tout l'été aux fêtes de Bayonne ou de Dax ? Vu par ses détracteurs, le rugby est considéré comme trivial. Un sport fait de fureur et de combat où l'impact est de plus en plus rude voire même dangereux. Ce qui dans notre monde aseptisé va bientôt devenir la pensée "woke" et sportive du mâle blanc dominant. Qui plus est, les règles de notre jeu sont complexes. Forcément, ce sport ne peut intéresser qu'une bande d'initiés, franc-maçonnerie de l'ovale, qui ne se reconnaît que dans l'adoubement d'un jeu qui se pratique avec un ballon ovale. Forme particulière aux rebonds malicieux, voire malencontreux alors que la majorité des amateurs de jeux de ballons de notre univers ne trouvent leur bonheur simple qu'avec un ballon rond : foot, basket, handball, volley...
Cet entre-soi ovale implique l'acceptation de codes et de valeurs autrefois reconnues et portées au pinacle, aujourd'hui quelque peu galvaudées, mais qui sont toujours les marqueurs de notre sport roi. Dont les intellectuels ont saisi l'esprit particulier et l'éthique guerrière. De toute façon, quoi de plus philosophique que cette idée de faire avancer son équipe en faisant des passes vers l'arrière, tout en offrant son corps à la mitraille des défenses adverses. Il faut avouer qu'aucun général féru de stratégie n'avait anticipé cette simple règle inventée par un étudiant anglais facétieux et empêcheur de tourner en rond. Pour lui, le monde était ovale ou n'était pas. Et tout est parti de là. Autrefois nombre de joueurs de rugby étaient diplômés, médecins, avocats, ingénieurs. Avec le professionnalisme cela s'est raréfié. Aujourd'hui, peu de joueurs vont au-delà d'un Bac +2 et la tendance à venir n'est pas à l'amélioration.
On reprochera toujours au rugby ses excès de troisième mi-temps. Quand l'alcool aidant, l'effet de groupe, les restes d'adrénaline pas totalement évacués, font que ces jeunes gens sachant se maîtriser sur un terrain, face à l'adversité, aux lazzis des supporters et devant un arbitre au sifflet parfois intempestif, deviennent de grosses brutes avinées, un peu cons, très bêtes et dont la cervelle est restée au fond d'un vestiaire encore nimbé des brumes de la douche réparatrice.
Le philosophe Michel Serres et Daniel Herrero, sûrement le plus philosophe de nos rugbymen, avaient débattu dans un entretien croisé pour le journal L'Humanité en juin 2020 sur l'âme du rugby. La conclusion de Michel Serres était que "le rugby est un bon cas pour lire le monde moderne". Ce qui laisse augurer de nombreux soubresauts et sûrement encore de nombreux changements à venir, allant ou non dans le bon sens, entre radicalité et conservatisme. Daniel Herrero conclut, lui, en affirmant que : "Le rugby est un jeu existentiel. Or le spectacle remet un peu en cause cet existentialisme". Ce qui ne présage pas vraiment que l'essence même de notre jeu sera respectée et que ce dernier sera toujours l'unique maître de son destin. Il va falloir que Sartre remette ses mains sales dans le cambouis du moteur ovale...
Le rugby est peut-être en fin de compte un sport d'intellos joué par des bourrins. Même si je crois que la mythologie de ses protagonistes, si loin du mythe de Sisyphe, ne sont que les figures humaines de nos héros aux forces surnaturelles. Telle la légende de Chabal créée par le Dieu Youtube et la pilosité de barbe noire... De toute façon, Shakespeare a résumé cette question dans une seule tirade, aussi abscons soit-elle : "To be or not to be, that is the question" et personne n'a encore répondu...