C’est un destin étrange, l’histoire d’un joueur doué qui avait tout pour réussir, et aujourd'hui errant sur les terrains comme une âme sans peine. 22 février 2018. Le président de Montpellier Mohed Altrad vient de sortir Johan Goosen de sa retraite. L’information commençait à se faire entendre par-ci par-là, sans pour autant connaître réelle confirmation. Ce jour d’hiver 2018, l’annonce ne laisse personne indifférent. Il faut dire qu’un an et demi auparavant, le sud-africain avait quitté du jour au lendemain le Racing 92 dans des circonstances plutôt troubles, sans laisser une once de traces derrière lui. Retraité, le springbok retourne dès lors au pays et s’engage dans une entreprise spécialisée dans les selles de chevaux. Le jeune homme n’a alors que 24 ans. Goosen prétexte ne plus supporter la vie parisienne, comme il l’explique pour Midi Olympique deux ans après sa fuite abracadabrantesque, et une fois ses valises posées dans la cité héraultaise : ''Pour être clair, je ne me sentais pas bien à Paris. Je suis sud-africain, j’ai besoin d’espace et, en banlieue parisienne, les immeubles sont si proches les uns des autres que j’avais l’impression d’étouffer. J’avais la sensation désagréable de vivre dans une boîte. Le pire, c’est que mon fils était aussi très malheureux. Lui qui avait goûté à la ferme de Bloemfontein et aux grands espaces ne se faisait pas à cette vie. Il pleurait tout le temps. Et nous, on ne dormait plus.'' À cette époque, Mohed Altrad pense alors flairer le bon coup. Il doit trouver en Johan Goosen un animateur hors-pair, capable d’évoluer aux différents postes de la ligne d’attaque. Surtout, enfin libre de tout contrat et alors qu’il ne doit s’engager qu’en juin pour les cistes, Goosen en profite pour refouler les terrains avec les Cheetahs, histoire de se réhabituer aux joutes du rugby professionnel. Problème, deux ans et demi plus tard et à six mois de la fin de son contrat, Johan Goosen aussi talentueux soit-il, résonne comme un véritable flop aux yeux du microcosme du rugby français. À l’image d’une saison montpelliéraine morose, devenant même inquiétante. Retour sur une carrière galvaudée et surtout, sur l’autopsie d’un talent gâché.
2014-2016, l’épopée racingman, de héros à zéro
Johan Goosen débarque en provenance des Cheetahs à l’été 2014 sur la pointe des pieds. Âgé de 22 ans, il vient en revanche de fêter deux ans plus tôt à tout juste 20 balais, sa première sélection avec la Nation Arc-en-Ciel. Un diamant à polir donc, et l’étiquette de gros espoir en devenir. Sa première saison dans les Haut de Seine reste mitigée. Il est alors pointé du doigt pour son manque de sérieux par le duo Laurent Travers et Laurent Labit. Mais que l’on soit clair, son talent ne fait aucun doute. Capable d’évoluer avec franc succès tant à l’ouverture qu’à l’arrière ou même au centre, Goosen est le prototype même du joueur sud-africain. Gros défenseur, doté d’un coup de pied de mammouth et qui ne rechigne pas lorsqu’il faut s’atteler aux tâches obscures. On lui rajoutera un côté feu-follet en plus manquant à la plupart de ses compatriotes. Le staff va alors resserrer la vis et Goosen va faire étalage de toute sa classe la saison suivante. Au centre de l’attaque, il va s’épanouir pleinement au côté d’un Dan Carter royal, participant à la finale de Coupe d’Europe perdue face aux Saracens (21-9), mais surtout, en étant l’un des principaux artisans du titre de champion de France du Racing la même année, pourtant réduit à quatorze face au RCT. Une finale en apothéose dans la dramaturgie la plus totale au sein d'un Camp Nou en ébullition et pris de passion pour la balle ovale. Goosen rayonne donc, est élu la même année meilleur joueur du Top 14. Il est même de nouveau appelé en sélection nationale. Tout va alors pour le mieux, dans le meilleur des mondes.
Oui mais. L’euphorie va alors être de courte durée et le retour sur terre des plus violents pour le club francilien la saison suivante. Trois petits matchs et puis s’en va. Alors qu’il revient de la tournée automnale avec l’Afrique du Sud, Johan Goosen ne se présente plus au Plessis-Robinson, camps d’entraînement du Racing 92, aux prémices de l’année 2017. Le protagoniste s’est volatilisé, comme disparu dans la nature. Le Racing entame une procédure disciplinaire, mais il est déjà trop tard, Johan Goosen est obstiné et bien décidé à ne plus vêtir le maillot ciel et blanc. Un départ en catimini, qui interroge. Le début de la descente aux enfers.
Retour en Afrique du Sud, et carrière rugbystique mise entre parenthèse
Vient alors le temps des questions. Pourquoi, le meilleur joueur de Top 14 une saison auparavant a décidé, sur un coup de tête, de quitter la France, pour rentrer en Afrique du Sud ? Et donc tout plaquer. Des versions divergent, et loin de nous l’idée de nous avancer sur l’une d’elles, mais plutôt d’énumérer ce qui aurait pu être une explication à cela. L’une d’entre-elles, suppose que Mohed Altrad président de Montpellier, aurait proposé un contrat juteux à Goosen, alors encore lié avec le club francilien. Une offre à faire tourner la tête du natif de Burgersdorp qui aurait alors tout fait pour rompre son contrat avec le Racing, dans le but d’être recruté par le club héraultais. Pour rappel nous sommes en 2017. Soit. Info ou Intox ? La nouvelle fut d'ailleurs démentie par le principal intéressé. La version officielle est tout autre. Passionné de chevaux, Johan Goosen affirme avoir décroché un CDI dans une entreprise de selle de chevaux en Afrique du Sud. Son CDI lui permet de casser son CDD avec le Racing. Le joueur annonce même sa retraite rugbystique à seulement 24 ans. Avant donc de faire son come-back, un peu moins de deux ans plus tard, lorsque Mohed Altrad annonce avoir trouvé un accord pour la saison 2018-2019.
À Montpellier, la descente aux enfers
Nous y sommes enfin. Tout ce bazar pour finalement voir Johan Goosen débarquer dans l’Hérault. Au milieu de ce capharnaüm, le polyvalent trois-quart espère bien relancer une carrière mise en stand-by pendant près d’un an et demi. Ses quelques apparitions avec les Cheetahs avant de se rendre à Montpellier lui ont permis de se réacclimater aux exigences du rugby professionnel. Surtout, le sud-africain, pourtant discret dans les médias, fait alors son mea-culpa sur son départ du Racing : ''C’était une folie. J’ai fait une erreur. Mais c’est la vie. Paradoxalement, j’ai aussi beaucoup grandi au fil de ces deux dernières années. Je me suis vidé la tête et j’ai permis à mon corps de se reconstruire […] Je vais être sifflé, hué, insulté. Mais je m’en fiche. Je m’y suis préparé [...] Je sais que tout le monde pense que je suis un mauvais mec et que je ne mérite pas la deuxième chance qui m’est aujourd’hui offerte.'' Le monde du rugby est divisé, la plupart ne croient pas au repenti Goosen. À vrai dire, nous ne tenons pas tous les tenants et aboutissants de ce dossier. Il serait incorrect de juger le joueur et l’homme sur une situation dont on ne sait en réalité pas grand-chose. Le joueur l’avoue, il a souffert, mais n’a pas pour autant négligé le sport. Nous, en tant qu’amateurs de rugby ne demandions qu’une chose. Revoir Goosen flamber sur les pelouses de Top 14, comme il avait pu le faire lors de son passage au Racing.
Goosen est dans un premier temps utilisé à l’ouverture, mais son rendement est à des années lumières des attentes placées en lui. Les débuts sont certes encourageants mais une blessure à la cheville face au RCT va ensevelir le joyau sud-africain dans un sacré bourbier. Une situation allant de mal en pis, puisqu’après ça, il va collectionner les blessures en tout genre au cours de son séjour montpelliérain (entorse du genou, fracture de fatigue...). Peu en verve, son passage prend des allures de fiasco, et son temps de jeu s’amenuise de fils en aiguilles. À tel point qu’aujourd’hui, Johan Goossen n’a disputé que 29 petits matchs en bientôt deux saisons et demi chez les cistes. Un bilan bien trop maigre pour un joueur de sa trempe. À l'heure de l'écriture de ces lignes, Montpellier ne semble pas décidé à prolonger son contrat, arrivant à son terme en juin prochain, et si un retour au pays n’est pas à exclure, aucune offre officielle ne lui a été proposée. Pire encore, blessé, il n’a jamais su profiter des absences de Pollard et Bouthier ou de la méforme de Lozowski pour enfin prendre les commandes du MHR. L’éclosion du jeune Louis Foursans-Bourdette n’a pas non plus arrangé les choses. Alors comment expliquer un tel revirement de situation ? Comment un joueur aussi talentueux, qui illuminait les pelouses de France et de Navarre a pu à ce point sombrer, et être quasiment oublié par le monde du rugby ? Sa longue période d'arrêt ? Pourquoi pas. Ses blessures à répétition ? Sûrement. D'autres persistent à dire que Goosen n'est attiré que par l'argent quitte à en délaisser le rugby. Quoiqu'il en soit, il y a bien un problème Goosen, et peut-être que cela traduit en réalité d'un mal-être bien plus profond chez notre protagoniste.
Il y a peu, Goosen se livrait face aux médias lors de l’exercice de la conférence de presse. L’occasion pour lui de revenir sur sa période montpelliéraine, et surtout sur les épisodes qui ont précédé cela : ''J'ai arrêté seize mois, et je ne pense pas que cette pause était une bonne décision dans ma carrière. Je travaille vraiment dur pour revenir au niveau qui était le mien. Maintenant, c'est du passé. J'ai pris des décisions, des mauvaises décisions. Ça arrive à tout le monde. Je ne peux pas le changer. Je dois aller de l'avant, travailler vraiment dur et me concentrer sur le rugby pour revenir au top avec mon club. Et j'y arriverai...'' À vrai dire, c’est tout le mal qu’on lui souhaite. À 28 ans après tout, le sud-af est loin d'être fini. Loin de nous l’idée de tailler Johan Goosen à travers ces lignes, mais plutôt de chercher des explications à une carrière en dent de scie promise à tutoyer les sommets et aujourd’hui à l’arrêt. On aimerait, nous passionnés de rugby, retrouver ce joueur, capable d’étincelles à tout moment. Montpellier en proie à de grandes difficultés, avant-dernier du Top 14, souhaiterait aussi revoir le Goosen du Racing. Ce dernier pourrait pourquoi pas redonner de l’allant à une équipe en panne sèche, et qui doit faire face au spectre de la relégation. Dans ses rêves les plus fous, il n’a pas non plus oublié ce maillot qui le fait tant rêver, celui de l’Afrique du Sud. Avec ses treize sélections, Goosen affirme vouloir connaître d'autres émotions sous le maillot vert et or : ''Tous les Sud-Africains veulent jouer pour les Springboks. C'est toujours un rêve, un objectif pour moi. C'est pour ça que je dois m'illustrer avec Montpellier. Personne ne sait ce qui nous attend. Tous les matins je me réveille pour travailler dur, me motiver pour progresser et pourquoi pas..’’ Ce serait un drôle retournement de situation. Mais après tout, venant de Johan Goosen, plus grand-chose ne nous étonnerait.