“Les arbitres doivent être respectés, ou du moins, ceux qui sont bilingues.” : c’est ainsi que la réflexion sur la barrière de la langue dans le rugby international est venu à Gavin Mortimer, journaliste et écrivain britannique. Le 22 septembre, ce dernier a publié dans le média The XV un long édito sur la “barrière de la langue” dans le rugby international. Et dans ce cas précis, il pense tout particulièrement à la faible connaissance du français chez les arbitres internationaux. Pourtant, comme le souligne le journaliste, la question a le mérite de se poser. L’anglais est-il suffisant pour les arbitres internationaux ? Ces derniers doivent-ils être bilingues ? Et plus particulièrement, le fait de parler français doit-il être obligatoire chez eux ?
Dans un premier temps, on peut trouver cela curieux qu’une personnalité non issue du pays flottant sous la bannière Bleu-Blanc-Rouge se pose cette question. Mais pour Gavin Mortimer, ce n’est pas anodin. Il raconte pourquoi au travers d’une anecdote :
Au cours de mes deux saisons de rugby amateur dans le sud de la France, il m'est arrivé d'insulter l'arbitre. Toujours en anglais, bien sûr, et en murmurant des insultes comme "prat" et "plonker" (NDLR : équivalents de “con), des insultes que les arbitres ne connaissaient pas. Mais lors d'un match, alors que j'ai été pénalisé de manière absurde, j'ai lâché un "bloody hell" (NDLR : “putain”). Alors que l'on nous faisait reculer de 10 mètres, l'arbitre m'a dit dans un anglais décent qu'il ne tolérerait pas les jurons, quelle que soit la langue. Et à juste titre, ai-je dit en m'excusant.”
Le français, langue du rugby mondial ?
Aujourd’hui, et après cette mésaventure, il revient sur le “mépris” de la langue française dans le rugby international. Il évoque le fait que “trois des dix meilleures nations de rugby au monde n’ont pas comme langue maternelle l’anglais”. Un calcul que l’on pourrait rectifier en disant plutôt que quatre des douze meilleures nations ne parlent pas français en considérant que le Japon et les Fidji ont aujourd’hui une place tout aussi légitime que l’Italie à figurer dans ce classement. Nous observons donc que l’Argentine, la France, l’Italie et le Japon sont ses fameuses nations non-anglophones. Une observation à laquelle aurait déjà répondu Wayne Barnes en 2017 selon l’article : “Si vous prenez les Six Nations et le Rugby Championship, il y a l'anglais, l'italien, le français et l'espagnol - et vous pourriez mettre du gallois en plus - c'est assez difficile de les couvrir tous.”
VIDEO. Quand les arbitres régalent avec leurs meilleures punchlines, les joueurs se taisent et écoutent !
Une remarque invalidée par Gavin Mortimer, sous-prétexte que “les Italiens et Argentins ne sont des forces majeures du rugby mondial que depuis récemment, alors que la France joue le Tournoi des V, puis VI, Nations depuis plus d’un siècle et a déjà fait trois finales de Coupe du Monde”. On pourrait s’enorgueillir de cette réponse qui met en avant notre palmarès, si l’on considère trois défaites comme tel, et notre histoire. Mais il existe d’autres raisons que la méritocratie qui pousseraient à croire que l’apprentissage du français peut-être une nécessité chez les arbitres internationaux.
La France est, avec le Japon, le seul pays possédant plusieurs divisions totalement professionnelles. Par conséquent, de nombreux joueurs de nations dîtes mineures du rugby européen et mondial voient leurs joueurs évoluer en Top 14, Pro D2 ou désormais en Nationale. Une observation notamment relevée par le média Tier 2 Rugby qui décrit le français comme la “seconde langue rugbystique” de plusieurs nations. Par conséquent, la langue de Molière permettrait de communiquer de manière plus directe avec des Roumains, Espagnols, Géorgiens, Portugais, Néerlandais, Uruguayens, Algériens, etc. évoluant en France. Ou avec au moins l’un des joueurs du groupe, voir le capitaine.
Not just France, let's not forget French is second rugby language of Georgians, Romanians, Spanish, Argentines given numbers who play there. Also would add it's chatty informal style refereeing also bias towards English speaking teams not just the language.https://t.co/jrnqPwGW65
— Tier 2 Rugby (@T2Rugby) September 26, 2021
Ainsi le français pourrait avoir un rôle de langue passerelle entre les joueurs et les officiels au même titre que l’Anglais. De plus, une très grande majorité de joueurs italiens et argentins évoluent en France ou dans une compétition où la langue majoritaire est l’anglais. En établissant que les arbitres internationaux officiant dans des matchs de niveau Tiers 1 ou Tiers 2 parlent a minima anglais et français, ils seraient en mesure de communiquer avec 95% des formations. L’équation ne serait pas totalement résolue, il reste l’exception japonaise, mais elle pourrait permettre de faciliter grandement la communication entre les arbitres et les nations ayant un niveau leur permettant de participer, par exemple, à la Coupe du Monde.
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Des Bleus victimes de la situation ?
Maintenant que la question de l’intérêt global d’une maîtrise du français est posée, celle de l’intérêt des Bleus se pose également. Dans un premier temps, le fait que la compétition reine du rugby mondial se déroule en France en 2023, peut-être un levier intéressant. Mais que cela soit dans l’immédiat ou sur le long terme, la problématique se pose tout autant. Par exemple, cet été en Australie, l’édito de The XV évoque un Anthony Jelonch qui “peinait à comprendre ce que l’arbitre disait et vice-versa”. Julien Marchand, capitaine du Stade Toulousain et habitué des joutes européennes, évoque dans l’article qu’il prend des cours d’anglais. Il en détaille la raison : "Mon anglais n'est pas génial. Pendant les matchs européens, je comprends généralement les arbitres britanniques, mais quand on est fatigué, ça devient difficile d'exprimer clairement ce que je pense."
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Dans ce sens, on pourrait dire légitimement que c’est au capitaine qu’il incombe la tâche de parler un anglais compréhensible. Ce dernier représente son équipe et se doit de le faire même dans des conditions physiques et mentales inadaptées. Mais dans le cas d’une blessure, qu’advient-il de cette règle ? Par exemple, l’habituel capitaine du groupe de Galthié, Charles Ollivon, ne pourra pas figurer à la tournée de novembre pour cause de blessure. Dans ce cas-là, et pour pallier cet imprévu, doit-on avoir une réserve de joueurs bilingues ? Pour Gavin Mortimer, britannique s’il faut le rappeler, le staff de l’équipe de France se doit de choisir avant tout “un joueur à l’aise en anglais”. Cela prévaudra même sur le leadership selon lui, jugeant qu’aujourd’hui “le capitaine en tant que tacticien est devenu presque superflu ; c'est l'entraîneur qui appelle les coups de feu, les relayant via les omniprésents porteurs d'eau.” Une vision des choses qui semble assez éloigné de la vision hexagonale du rugby où le capitaine représente avant tout un liant et un homme de confiance au sein du groupe, figure d’exemplarité pour ses partenaires et son encadrement.
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Pour les arbitres, The XV met en avant le travail de Luke Pearce. L’arbitre international prendrait effectivement des cours de français afin de pouvoir communiquer le plus efficacement possible. Il complète : “C'est très important pour la connexion entre les arbitres et les joueurs. Cela fait une grande différence lorsque les personnes vous voient faire un effort pour parler français plutôt que de ne rien essayer du tout.” Il fait aussi un parallèle avec le monde britannique “Ce qui compte, c'est le respect de la langue du pays dans lequel vous vous trouvez. World Rugby ne serait jamais irrespectueux au point de nommer un arbitre français, qui parle à peine un mot d'anglais, pour la Calcutta Cup.”
Pour les bilingues, l'article constituant le fil rouge de ce papier est disponible ici.