"Il faut couper la ligne si tu es à 20 mètres de ton en-but !" Voici ce que j'entends depuis petit, pas ce que j'applique. La question m'a été soufflée à la suite d'un barbecue entre amis septiste (et non septique) sur la qualité d'un ailier dans sa prise de décision. Ailier, c'est quoi ? C'est devoir prendre une décision défensive seul qui peut faire basculer une rencontre dans le négatif ou, la maintenir en l'état. C'est aussi le poste le plus exposé du rugby, que ce soit sur le terrain ou médiatiquement. Rappelez-vous du traitement de Teddy Thomas : à ce moment-là, nous étions tous ailiers de haut niveau. Dommage que le talent nous ait empêché de porter le maillot bleu autre part que dans un bar ou sur le canapé.
Désintox - Teddy Thomas, maillon faible ou sauveur de la défense ?
Le cas du jour concernera donc la position défensive de l'ailier proche de sa ligne, sans non plus avoir les talons dans le blanc. Cette position traître où le sous-nombre défensif active tes synapses jusqu'à devenir un omniscient hésitant : tu connais le choix à faire, mais tu hésites car il faut n'en prendre qu'un et le bon. Monter en pointe sur le joueur ? Couper la ligne de passe ? Ou glisser ? Je vous laisserai choisir votre orientation défensive. L'ailier est souvent décisif en attaque, mais on oublie qu'en défense aussi. Et pourtant ! On place toujours le débutant à l'aile. Revenez à vos souvenirs de jeunesse les concernant : un ailier qui se troue est un mauvais ailier, un ailier qui plaque bien est un centre refoulé.
Mais pourquoi monter en pointe ?
Avant toute chose, on pourrait revenir sur les différentes défenses apprises à l'école de rugby, voir senior. La défense en pointe est souvent utilisée par le second centre ou l'ailier. Si pendant longtemps un coéquipier qui sortait de sa ligne de défense me rendait fou, j'ai appris à l'accepter comme il était au fil du temps. Et j'ai compris pour quelles raisons : stopper net l'attaque. Mais doit-on nécessairement se précipiter ? Une attaque possède le ballon et l'équipe en charge de ce fardeau a bien plus à faire que la défense : pourquoi ne pas la laisser assumer seule cette tâche ? Eclaircissons ce choix de jeu souvent controversé car exposé.
Les pros montées en pointe
Pour la pensée commune, monter en pointe et couper une attaque est magnifique et bien senti. Pour le jeu, ce n'est ni plus ni moins qu'une prise de risque qu'il sera bon de juger "utile" ou "inutile". En effet, un ailier proche de sa ligne doit défendre en homme à homme avec le 15 adverse et à la même hauteur que son 10. Mais il doit également être capable de revenir sur son ailier pour l'enfermer avec son arrière. Compliqué tout ça quand on est habitué à prendre des joueurs de faces à 1 mètre du dernier ruck (comprenez "pour les avants"). Les pros montée en pointe estimeront qu'il faut couper la ligne sur le prochain porteur de balle ou directement entre les deux joueurs, afin de stopper l'action. Et ce, même à 22 mètres de sa ligne !
Les antis
Une montée en pointe est bien trop risquée dans un sport qui demande de la rigueur défensive : couper la ligne c'est, décider de jouer à pile ou face. Un ailier ne peut pas jouer à pile ou face s'il veut assurer la continuité défensive de son équipe. Une équipe bien en place défensivement, c'est 15 joueurs concernés qui communiquent énormément. Et c'est le principe même de la défense glissée : communication ! Même à 22 mètres de sa ligne, une bonne défense glissée peut empêcher un essai. Pour cela, la communication et la réactivité de la troisième ligne aile, jusqu'au 15, seront importantes.
Deux cas différents
Le cas encensé Ntamack
Remettons en situation cet essai de Romain Ntamack. 51e minute, la France mène d'un seul petit point mais souffre depuis la reprise de la 2nd mi-temps. Le système défensif des Français consiste à retirer Romain Ntamack de la zone sensible afin de conserver son pied en 3e rideau. A sa place, Antoine Dupont, plus enclin au plaquage, se charge de mener la défense. Mais le jeune ouvreur décide de couper la ligne pour tenter une interception qui réussit. Alors qu'aucun danger n'était là, à plus de 40 mètres de sa ligne et un retour intérieur de Teddy Thomas et Charles Ollivon, il décide de tenter l'interception. La France entière s'est levée, mais elle aurait pu rester assise, les mains sur la tête.

Les Gallois font un point au centre du terrain avant de vite éjecter. L'action précédente, Romain Ntamack sort de la ligne et demande à Virimi Vakatawa de resserrer. Mais les Gallois sont en surnombre à l'extérieur. Teddy Thomas, dernier défenseur bleu, se retrouve à plus de 20 mètres de sa touche face à 5 défenseurs et Charles Ollivon en soutien intérieur.

Ntamack se retrouve donc à défendre en tant qu'ailier : il doit donc monter une fois que le 10 adverse a fait la passe (afin d'attendre qu'il ne joue pas au pied). Mais il semble bien loin et Biggar aime faire croire qu'il attaque la ligne avant d'écarter : il bloque légèrement Charles Ollivon.


Sur ces images, Romain Ntamack monte en sprint combler le vide dans la zone des 15 mètres. Mais étant en retard dès le départ, il a dû accélérer sans vraiment pouvoir s'arrêter. Sur les talons, son dernier choix et de tenter l'interception ou de bloquer le 13 Gallois au ballon.


Sur ces dernières images, on peut voir que Tompkins ne fait absolument pas le bon choix. Teddy Thomas est battu sur la prise de balle et Romain Ntamack lui, se retrouve encore dans l'avancée de son sprint.
Ce que nous apprend cette phase : Si Ntamack est sorti de la ligne pour défendre en ailier, il est possible que cette décision vienne d'une demande du staff afin de remplacer Teddy Thomas en difficulté. Mais Romain Ntamack n'a pas forcément fait le bon choix. Si Anthony Bouthier est absent de l'image, il est bien présent dans le 3e rideau. Mais bien seul : Grégory Aldritt, Antoine Dupont et Gaël Fickou se retrouvent dans la ligne. Si les Gallois passent Ntamack, c'est un essai au bout. On peut finalement se dire que les interceptions sont souvent des mauvais choix et de mauvaises analyses de l'attaque, et non un bon choix de la défense.
Le cas parfait Goromaru
Le cas parfait car, même le talon sur sa ligne, l'arrière japonais arrive à contenir une attaque écossaise bien engagée. Certes, le choix de Finn Russell n'est pas le meilleur, mais les espaces sont tellement grands qu'une bonne qualité de passe suffirait à marquer l'essai. Et pourtant.
Finn Russell écope d'un ballon d'essai avec seulement 3 défenseurs japonais en face dont Ayumu Goromaru qui veille seulement sur l'arrière. L'ailier est le long de sa ligne.

A la prise de balle de Russell, on voit que l'arrière japonais ne monte pas rapidement pour couper la ligne. Deux choix lui font face : monter sur le 15 ou l'ailier. Mais la roulette russe n'est pas le jeu le plus sûr de la planète. Goromaru décide d'attendre avant d'accélérer sur l'homme, tandis que ses soutiens intérieurs partent en sprint pour pousser le ballon vers l'extérieur.

Dès lors que Russell arme sa passe, Ayumu Goromaru tourne ses épaules et part vers l'extérieur. S'il ne sait pas vraiment pour qui elle est destinée, sa position très à l'intérieur de son vis-à-vis lui permet de pousser tout le monde vers la touche.

La passe est pour l'ailier et Goromaru n'a plus qu'à sprinter pour jouer un duel avec l'aide de la touche. Ses soutiens intérieurs lui assurent un risque de crochet et la touche l'aide à enfermer le défenseur sur un seul choix : viser le poteau. De plus, le décalage de base incite l'ailier écossais à se dire que Goromaru ne reviendra pas. Et pourtant.


10, 11 et 15 Japonais poussent l'ailier à viser le poteau de touche. Le mot de la fin sera accordé après le duel entre les deux joueurs.
Ce que nous apprend le cas de Goromaru est qu'une défense n'est jamais battue tant que les défenseurs n'ont pas tourné leurs épaules ou n'ont pas planté leurs talons. Certes, toutes les situations sont différentes et ici nous avons à faire à une exception. Souvent, dans les 22 mètres, les ailiers montent en pointe pour couper une attaque à qui il reste encore un peu de chemin à faire. Au final, ils précipitent la fin de l'action avec le choix qui est souvent mal exécuté ou bien, pas approprié à la situation.
Monter en pointe pour défendre est impressionnant et fait partie du jeu. Mais c'est souvent mal exécuté et contraire au jeu. Les meilleures défenses sont celles qui comblent les vides collectivement et en communiquant, pas celle d'un seul joueur qui joue tout le travail de ses coéquipiers sur une montée. On entend souvent "il était obligé" après une montée en pointe de l'ailier. Mais si l'ailier est obligé, c'est que la défense n'a pas réussi à combler le retard jusqu'à la touche. Je vous laisse maintenant choisir votre type de défense.