C'est un essai mythique du rugby français. S'il n'a pas la portée de "l'essai du bout du monde" de Jean-Luc Sadourny ou l'importance de celui inscrit par Yannick Jauzion face à la Nouvelle-Zélande lors du Mondial 2007, il reste malgré tout gravé dans la mémoire des supporters français.
Grâce au contexte, d'abord.
Nous sommes en 2007, année d'une Coupe du monde organisée à la maison. A l'époque, le XV de France est encore une référence sur le sol européen. Et remporte d'ailleurs le Tournoi des 6 Nations... Lors de la 2e journée, les hommes de Bernard Laporte se déplacent pourtant du côté de Dublin pour y affronter la solide équipe d'Irlande. Qui pour la première fois, évolue sur la pelouse du légendaire Croke Park !
Avec un essai d'Ibanez, les Bleus débutent bien mais Ronan O'Gara fait le show : il inscrit dix-sept points, dont un essai. Et à cinq minutes du coup de sifflet final, le XV du Trèfle mène 17 à 13.
Le moment choisi par Vincent Clerc pour crucifier tout un stade. Image par image, on analyse cet essai d'anthologie. Exploit personnel ou énorme erreur de la défense ?
1. Gagner le renvoi
Le chronomètre affiche 77 minutes de jeu. De 14-13, le score vient de passer à 17-13 grâce à une pénalité d'O'Gara. Les Bleus doivent donc marquer un essai pour l'emporter... Première étape ? Gagner le renvoi. Très vite (le réalisateur n'a pas réussi à capter le coup de pied en direct), Beauxis choisit de taper court (et haut!) juste après la ligne des 40. La tactique est simple : jouer le duel dans les airs et l'emporter. Ce que réussit à faire Imanol Harinordoquy, qui dévie le ballon vers le grand côté.
Yannick Jauzion va s'en emparer pour lancer l'attaque tricolore, seconder par Lionel Beauxis et David Marty.

2. Prendre la ligne d'avantage
En trois passes, la France a peu avancé mais elle a réussi à déplacer le jeu. Le ballon arrive dans les mains de David Marty. On le voit avec les flèches vertes : pas préparée à perdre la balle, la défense du trèfle est déjà désorganisée. Pas en ligne, intégralement tournée vers le ballon, elle est totalement attirée par ce dernier, alors que le jeu n'est même pas arrêté. Laissant le côté gauche du terrain presque à l'abandon...
Marty (dans le rond bleu) peut faire le crochet intérieur sur Shane Horgan (titularisé ce jour-là à la place de Brian O'Driscoll, absent) mais il choisit l'extérieur. Le choix est le bon : le Catalan gagne son duel et prend la ligne d'avantage, mettant les Bleus dans l'avancée.

3. Le relais des avants pour la continuité
Finalement plaqué en poursuite par Horgan, Marty a gagné une dizaine de mètres, franchissant la ligne des 22. Dominici puis Betsen sont au soutien mais puisque la défense est en retard, l'Irlande ne dispute même pas le ruck. Ce qui permet à Bruno de jouer le rôle de demi de mêlée.
En assurant la continuité, les avants permettent de ne pas perdre le temps gagné par les arrières, empêchant les adversaires de s'organiser. Un vrai travail d'équipe...

4. Inverser le jeu le plus vite possible
Dans le fermé, c'est Jauzion (encore lui !) qui a été servi, gagnant lui aussi de précieux mètres. Le soutien des avants est une nouvelle fois efficace. Sauf que fidèle à une tactique encore en place aujourd'hui, les Irlandais continuent de ne pas se consommer dans les rucks. Le premier rideau de la défense est donc dense, et le XV du Trèfle semble avoir rattrapé son retard.
On le voit très bien sur cette capture d'écran, où Mignoni sort le ballon pour trouver Beauxis. Ce dernier a deux choix : s'appuyer sur Dominici à son intérieur ou Bruno à son extérieur pour créer un point de fixation. Ou inverser le plus vite possible le sens du jouer en cherchant un espace sur l'extérieur. C'est la seconde option qui est choisie.

5. La mauvaise montée en ligne des Verts
Au centre du terrain, Vincent Clerc hérite du cuir. C'est un dicton qu'on répète souvent à l'école de rugby : le ballon va plus vite que l'homme. La longue passe de Beauxis va donc permettre aux Bleus d'éviter la zone bord ruck et d'attaquer dans une zone où l'Irlande est larguée. Autant le dire tout de suite : la montée défensive est catastrophique.
Quand Clerc hérite du cuir, l'Irlande ne monte pas sur une seule et même ligne... mais sur six ! Une aubaine pour le Toulousain : une défense qui ne monte pas en ligne, c'est l'assurance d'avoir de nombreux trous. Comme pour Beauxis, deux options pour lui : écarter au large sur Poitrenaud (hors caméra) mais risquer que la défense glisse efficacement. Ou choisir l'option personnel en profitant des errements défensifs pour attaquer la zone en blanc et vert ci-dessous.
Vous connaissez la suite.

6. Un plaquage manqué, et c'est la débandade
Ce qui devait arriver arriva ! D'un seul crochet intérieur sur le pilier John Hayes, Clerc s'ouvre un énorme boulevard en éliminant toute la défense, et n'a plus qu'à courir jusqu'à l'en-but, presque sans opposition. Battant ainsi toute une défense, Paul O'Connell (cercle vert, à droite) étant déjà trop loin pour le rattraper.
La France remporte le match !

- Pour voir les dernières minutes de la rencontre en vidéo, c'est par ici :