On dit souvent qu’il faut du temps à l’homme pour prendre la pleine mesure de ce qu’il est en train de vivre. Las, le rugby français et tous ses supporters, de près ou de loin, semblent pourtant bien mettre sur le doigt sur une émotion immense, un déchirement même, tant la disparition de Christophe Dominici ce mardi après-midi fait figure de tremblement de terre dans le microcosme de la balle ovale. Sans pousser le trait.
"Domi" ? C’était ce garçon intrépide, casse-cou, infiniment généreux autant que déroutant, de l’avis de tous. Un enfant de la Rade, un vrai, d’où il avait, qui sait, peut-être tiré ce caractère bien trempé autant que cette entièreté si caractéristique et ses qualités de guerrier. « Mini-Robot » - comme on le surnommait il fut un temps pour sa propension à danser des épaules lorsqu’il déambulait -, personne n’a jamais pensé pour lui. Et tous ceux qui s’y sont frottés durant sa trop courte existence s’y sont piqués.
Petit par la taille (1m72), grand par le talent, le Toulonnais de naissance était le symbole du petit homme au grand coeur, de la force qui se moque du nombre de kilos sur la balance. Qui d’autre que lui aurait bien pu quitter le football pour le rugby à 17 piges et en un claquement de doigts, sur l’autel du manque de vaillance et de solidarité de ses partenaires du ballon rond d’après la légende ? Qui d’autre que Domi aurait bien pu faire perdurer toute une vie durant cette âme d’enfant éternelle mêlée à un côté attachant que tout le monde retiendra de lui ? Et enfin quel autre rugbyman français que lui aurait bien pu, aujourd’hui, recevoir autant d’hommage que lui dans la presse, les médias et ailleurs ? Peut-être personne.
Des exploits sportifs en pagaille
Mais au-delà des qualités humaines évidentes et de la fougue de l’ancien ailier du XV de France, nous préférerons rappeler ici ses exploits sportifs intemporels. Ceux qui auront fait vibrer les supporters tricolores comme un seul homme des années durant, au moins de 1998 à 2007, parenthèse dorée de sa carrière internationale. Comme cet après-midi du 31 octobre 1999, où un jeune homme de 27 ans aux cheveux peroxydés avait sonné le glas des injouables All Blacks grâce à un coup de nez dont il a le secret. Un coup de pied dans la boîte somme toute anodin de Fabien Galthié et un Dominici seul à être monté chasser comme un dingue l’arrière garde néo-zélandaise, avant que comme par magie, le cuir ne lui revienne dans les mains grâce à un rebond des plus improbables. Ses jambes de feu faisaient le reste, les Bleus l’emportaient 43 à 31 dans ce qui constitue encore probablement le plus grand exploit de leur histoire et voilà comment Christophe Dominici venait de signer un contrat à durée indéterminée avec le public français en tant que chouchou officiel de la nation ovale.
Malgré des sautes d’humeur incontrôlées, des déchirures mentales profondes et destructrices, des blessures, aussi, l’ancien trublion du rugby français a néanmoins toujours su se relever et remettre le couvert, avec brio. En ce sens, l’on retiendra son retour au premier plan pour participer à l’épopée européenne du Stade Français au printemps 2001, six mois après avoir traversé une grave dépression nerveuse qui avait obligé les médecins à le plonger dans un sommeil artificiel pendant une dizaine de jours. La défaite après la sirène face aux Tigres de Leicester (30 à 34) sera d’ailleurs l’une des plus grandes déceptions de sa carrière, de ses propres dires.
Et 2005 aussi, au Parc des Princes, où le Varois de naissance avait crucifié les Biarrots en demi-finale de HCup à la 89ème minute, d’un exploit fantastique. Cinq semaines auparavant, il était séché par une manchette italienne lors de l’ultime match du Tournoi, qui l’avait même contraint à être hospitalisé et fait manquer le quart de finale de la principale compétition européenne de club, face à Newcastle. Entier, comme toujours, Domi en avait « pleuré toutes les larmes de son corps » se souvenait son coéquipier de l’époque David Auradou dans les colonnes du Monde en suivant. À peine plus d’un mois après, donc, l’ailier stadiste permettait au club de la capitale d’accéder à la finale au Stade de France. L’action ? C’est le principal intéressé qui la racontait pour le même journal à l’époque. "Je me suis retrouvé en position de demi de mêlée… Une petite faille s'est ouverte, et je m'y suis engouffré. Le reste ? C'est de la magie", assumait-il avec son sens du spectacle habituel.
Des anecdotes délirantes
Et puis, au-delà du rugby et de ses fantastiques qualités athlétiques, de sa rage de vaincre ainsi que de ses jambes de feu, Dominici, c’est aussi ces anecdotes toutes plus improbables les unes que les autres. Des petites histoires dans les grandes, comptées ici et là déjà bien avant son décès par ceux qui l’ont très bien connu.
En tête d’affiche, difficile de ne pas évoquer son ancien président et instigateur des années folles du Stade Français, Max Guazzini, avec qui il était devenu si ami. L’été dernier, le ponte des radios était revenu sur les coulisses de la grande époque de son club dans un long entretien accordé au Midi Olympique, et y révélait un trait des traits majeurs du sujet de ce papier. « Je me suis rendu compte qu’il était un garçon à part le jour de sa première sélection en équipe de France. Après la rencontre, il m’a appelé. Il voulait fêter ça avec moi. Quand il est arrivé à la maison, j’ai sorti des verres et une bonne bouteille. Il m’a rejoint dans la cuisine, a soulevé sa veste et m’a donné son maillot bleu. (…) Je lui ai dit que son premier maillot était pour lui ou pour son père, mais sûrement pas pour moi ! Il est comme ça, « Domi ». Quand il aime, il donne tout… »
Passé les mots autour du grand coeur de son protégé, Max lâchait alors quelques brides du feuilleton Domi qui valaient clairement leur pesant d’or. « Des souvenirs, il y en a tellement… Je n’oublierai jamais ce jour de 2005 où l’équipe était regroupée en stage à Bugeat, en Corrèze. Évidemment, « Domi » était arrivé en retard, dans une belle voiture de sport et en passant devant les autres, avait lancé : « Ça va les trompettes ? » Marconnet et toute la bande s’étaient alors promis de se venger, s’esclaffait dans la foulée l’ancien avocat. Un soir, ils l’ont chopé dans sa chambre, où il visionnait un film un peu « olé olé », l’ont mis à poil et l’ont lâché dans le seul restaurant de Bugeat, qui était plein à craquer. Les gens quittaient leur table et venaient vers lui pour demander des autographes. Lui, gêné, leur disait : « Vous pourriez me donner un tablier, d’abord ? » Du grand Domi vous avez dit ?
Tout cela pour rappeler une ultime fois le personnage hors-normes qu’était cet homme de 48 ans, disparu hier dans Paris en emportant avec lui sa joie de vivre légendaire et son sourire immortel. Depuis l’avortement à l’été du projet de rachat de l’AS Béziers dans lequel il était très impliqué, sa parole et ses apparitions publiques s’étaient faites plus que rares. Nombre de ses amis n’avaient d’ailleurs plus eu de nouvelles depuis. « J’ai beaucoup échangé avec lui lors de l'épisode biterrois. On s'appelait tous les jours pendant trois semaines. Ça lui tenait à coeur. Puis ça ne s'est pas fait et je n'ai plus eu de nouvelles », avouait par exemple Fred Michalak pour L’Equipe ce mercredi matin. Ce qui, a posteriori évidemment, nous alerte tous autant que nous sommes.
Hier soir, son ami et actuel sélectionneur Fabien Galthié a promis la voix coupée par l’émotion que samedi contre l’Italie, les Bleus « tacherons de lui rendre hommage ». Histoire de faire vibrer une dernière fois et comme il se doit la mémoire de celui qui porta à 67 reprises le maillot frappé du coq si fièrement, plantant au passage 25 essais. Après tout, ce dernier se plaisait à dire dans les bons jours qu’il « avait connu des très hauts et des très bas » et que « rebondir, c’était son histoire ». Une étoile filante autant qu’un phénix, pour l'éternité…