Champions Cup. En quoi une absence de Levani Botia en finale serait préjudiciable pour la Rochelle ?Immense, époustouflante, gigantesque, stupéfiante… les superlatifs manquent vite pour décrire la performance de La Rochelle dimanche dernier face au Leinster. On pensait qu’il était impossible de faire tomber l’équipe la plus titrée du Vieux continent à ce stade de la compétition, et pourtant les Maritimes l’ont fait (32 à 23). Et de quelle manière ! Car le plan des Jaunes et Noirs - guidés par deux hommes (Gibbes et O’Gara) qui connaissaient très bien le jeu irlandais - était tout simplement parfait, nous allons y venir. Sauf qu’en plus du théorique et de leur application au millimètre, les partenaires de Romain Sazy y ont rajouté une envie exceptionnelle. Une culture de la gagne, presque. Le tout pour un cocktail gagnant, détonant, édifiant, et tous les qualificatifs se terminant en « ant »…
En attaque, l’utilisation des « big men »
Mais pour aller plus loin, tactiquement, comment La Rochelle a-t-elle fait tomber la province du Leinster ? D’emblée et plus que toutes les autres choses, difficile de ne pas souligner ce qui a dû vous sauter aux yeux dimanche à Deflandre : l’apport des colosses maritimes. Il faut dire qu’en son sein, le Stade Rochelais dispose du pack le plus massif d’Europe (947 kilos au coup d’envoi face aux Irlandais !) et jouit avec Will Skelton (2m03 pour 140 kilos), Uini Atonio (1m96 et 145 kilos), Levani Botia (1m82 et 106kg) ou Greg Alldritt (1m91 pour 115kg), d’une force de frappe exceptionnelle. Simplement, là où d’autres formations sont en permanence à la recherche d’équilibre pour éviter toute unidimensionnalité, Jono Gibbes a su appuyer sur cette force unique et sur « les mains » d’Atonio et Skelton (42 mètres gagnés à lui seul) pour faire d’eux le point d’ancrage du jeu rochelais et in fine, un cas unique sur le Vieux-Continent. Ainsi, en plus de leurs charges virulentes au près, combien de fois vit-on les deux derniers nommés utilisés au milieu de terrain pour animer (oui, oui) le jeu des locaux, offrant alors des options de fixation directe ou de jeux dans le dos efficients grâce aux leurres pour le moins persuasifs de ses deux golgoths ?
Une utilisation parfaite de leurs adroits « big men », qui a d’ailleurs permis à La Rochelle d’énormément jouer debout (16 offloads contre 3) et ainsi de trouver beaucoup d’avancée sur ses séquences, de même que de mettre en difficulté une formation du Leinster qui - on le sait - déteste le désordre. Et puis, pour déstabiliser l’un des rideaux défensifs les mieux organisés de la scène continentale, les troupes de ROG ont aussi usé et abusé d’une faille probablement observée à la vidéo : les bordures de rucks. Au vrai, enclins à ne jamais se consommer dans les rucks afin de densifier et écarter au plus vite leur ligne défensive, les Dublinois ont tendance à déserter quelque peu les « gardes 1 ». Chose sur laquelle les Maritimes ont appuyé à la perfection par leur demi de mêlée All Black Tawera Kerr-Barlow, qui à énormément pesé au près (valises aux 11ᵉ, 34ᵉ et 40ᵉ minutes), mais aussi via des remises intérieures incessantes qui leur ont permis de trouver beaucoup d’avancée. Au bout de leurs gains de la ligne d’avantage, les hommes du président Merling ont alors pu se découvrir un peu en tentant quelques coups sur les extérieurs, soit par des passes rapides et profondes, soit pas les diagonales au pied de West. Concis, précis, efficace.
VIDEO. Le résumé de la qualification historique de La Rochelle pour la finale de Champions Cup est là !Enfin, la stratégie offensive du club à la caravelle a pu aussi bien fonctionner grâce, on l’a dit, à l’application parfaite de ses hommes. Les Rochelais ont clairement agressé les Leinstermen dans les rucks et, à l’exception du ballon gratté par Van der Flier à la 12ᵉ minute, n’ont plus perdu aucun ballon sur mêlée ouverte grâce à leurs soutiens ultrarapides et efficaces (98% de rucks gagnés !). Prendre le Leinster à son propre jeu, il fallait le faire !
Une défense de Bagnard
Face à l’équipe qui joue le plus de ballons en Champions Cup (532), la victoire est - évidemment - aussi passée par une défense irréprochable. Dans la semaine, Grégory Patat affirmait que ce match « serait un vrai test pour notre défense », et dire que celle-ci a passé l’échéance avec succès relève du doux euphémisme. Car à Marcel-Deflandre, c’est un vrai rideau de fer qui s’est dressé sur la route des Irlandais. Meilleure défense du championnat et de loin (16 pts encaissés en moyenne seulement), les Rochelais ont confirmé leur force incroyable dans ce domaine à l’échelon supérieur. Si le Leinster a plus avancé (374m parcourus contre 295m), les coéquipiers de Pierre Bourgarit n’ont subi que 4 franchissements (contre 6), ont affiché 89% de réussite au plaquage et en ont surtout profité pour récupérer 11 turnovers. À ce sujet, mention spéciale au talonneur international, qui en plus d’avoir été au four et au moulin offensivement, a récupéré à lui seul 3 ballons au sol (2 pénalités + 1 arrachage).
Pierre Bourgarit, si efficace au grattage.
D’ailleurs, pour gagner la bataille du sol, les chouchous des Bagnards ont su prendre la mesure de l’évènement et s’adapter à l’arbitrage de Matthew Carley au fil de la rencontre, lui qui sifflait très vite. Bousculés dans les 10 premières minutes par Tadgh Furlong et les siens et sanctionnés à 6 reprises dans ce même laps de temps, les Maritimes n’ont terminé la rencontre qu’à 11 pénalités (contre 14), ce qui est conforme aux standards internationaux.
Et puis, on l’a dit en préambule, quelle force devant ! Très fort sur les fondamentaux et emmené par son axe droit démentiel à l’image de cette mêlée traversée du Leinster comme on avait jamais vu de mémoire d’observateur (43ᵉ), le meilleur alignement de la compétition a été quelque peu bousculé (3 touches perdues), mais sans gravité. Surtout, à chaque fois qu’elle trouvait Sazy, Vito ou Skelton, La Rochelle a su être ultra-performant à chaque fois à la retombée, comme en témoigne son avancée de 21 mètres au total sur maul (contre 2 mètres pour le Leinster, en comparaison). Pas anodin si les 2 essais maritimes sont directement intervenus après groupé pénétrant… Et puisqu’on vous a martelé que rien n’avait été laissé au hasard, le plus mauvais contre du Top 14 ne s’est pas fatigué à tenter d’aller contrer l’organisation aérienne parfaite du Leinster. Face à Toner, Ryan et consorts, les Jaunes et Noirs n’ont quasiment jamais sauté en défense, se contentant d’être ultra-réactifs à la retombée tout en ne dépensant aucune énergie inutile. Chirurgical.
Enfin et c’est une habitude rochelaise depuis l’arrivée de Ronan O’Gara en bord d’Atlantique, soulignons la propension des 3/4 à contrôler parfaitement en défense, accouplée à leur capacité d’agression dès que faire se peut (ex : en-avant de Lowe à la 33ᵉ). Une rush défense parfaitement maîtrisée qui leur permit de couper les extérieurs au Leinster à de multiples reprises, et de fait, de l’empêcher d’aller trouver les couloirs où il est d’habitude si dangereux dès lors qu’il décale ses ailiers (cf. : leurs 3 essais en quart de finale à Exeter découlèrent d’actions dans les 15 mètres et conclues par Lowe et Larmour).
Une action parmi mille où le Leinster était en situation d'attaque, dimanche. La ligne défensive de La Rochelle semble presser fort tout en apparaissant bien en ligne.
Sauf que la rush défense rochelaise fait encore des siennes. Très pressante, la montée en quinconce inversée de Rhule et West empêche Ross Byrne de jouer le coup sur les extérieurs, et ainsi, Doumayrou peut coffrer l'ouvreur irlandais.
Le symbole de La Rochelle sous l'égide de Gibbes et O'Gara. Une équipe capable d'être agressive sur le front comme nulle autre formation dans l'Hexagone, à l'exception peut-être du Stade Français. Immense, époustouflante, gigantesque, stupéfiante...