C'est le premier single de Jul, celui qui divise autant qu'il rassemble. Si le rappeur marseillais était rugbyman, il serait sûrement ailier au Racing 92 et international français. Mais son nouveau collectif 13'Organisé et son titre Bande organisée est devenu LE phénomène musical du moment, un hymne à l'effigie de Marseille.
Sortie le 15 août dernier, ce son produit par Jul en featuring avec SCH, Kofs, Naps, Soso Maness, Elams, Solda et Houari, totalise déjà plus de 100 millions de vues sur Youtube, après avoir été certifié disque de platine en 25 jours. Pas rien, même si on est de la vieille école. Parmi toutes ces écoutes, on pourrait penser qu'il ne s'agit que des footeux, pro-marseillais et jeunes. Mais le rugby s'est pris à la fièvre du "Zumba Cafew", désormais culte dans les vestiaires et club house. Mais pourquoi ?
Terminé le Connemara
Que vous ayez 15 ans, 20 ans, 30 ans ou proche de raccrocher les crampons, vous avez tous chanté "Les lacs du Connemara" de Michel Sardou. A vrai dire, aucune idée du pourquoi du comment cette chanson inonde les clubs de rugby de France et de Navarre. Sûrement un vestige des générations passées dans le club, désormais dirigeants ou entraîneurs. Le rugby reste tout de même très fermé dans sa culture et ses représentations musicales, comme une bulle opaque bien loin des évolutions du monde qui l'entoure. Un écrin de verdure jaunie par le temps. Combien de fois avez-vous soufflé devant un changement dans votre club, votre équipe ou bien même du rugby lui-même ? Comme si on vous enlevait une partie de votre passé rugbystique. Alors imaginez un changement de culture.
Bande organisée est arrivé
Comme on le sait, c'est un collectif marseillais qui a bouleversé les charts musicaux français. Et pourtant, aux 4 coins de la France le morceau tourne, même en région parisienne. Evoluant depuis peu en Île-de-France, quel a été mon étonnement de voir des joueurs de Sarcelles et des alentours connaître les paroles sur le bout des doigts, tout en continuant de dénigrer l'OM en utilisant un autre doigt. Si les chants classiques continuent de rythmer les troisièmes mi-temps, il faut avoir le cœur accroché devant ce morceau. 9, c'est le nombre de fois que "Marseille bébé" a ambiancé tout le club sur la dernière troisième mi-temps. Il faut dire que les paroles sont désormais devenues cultes. Que ce soit le célèbre "Zumba Cafew, Cafew carnaval" de Soso Maness, en passant par "C'est pas la capitale (nan), c'est Marseille bébé" de Kofs, les punchlines ont remplacé les classiques de la chanson française. Repris en cœur par 40 rugbymen, qui n'attendent que ce morceau pour se réveiller.
"Les troisièmes mi-temps sont tombées bien bas"
Ce morceau a révélé les plus vieilles discordes entre "anciens" et "jeunes". Comme cette phrase qui dit que "c'était mieux avant", prononcée par des joueurs qui n'ont connu qu'une forme de rugby et qui n'en démordent pas. Bande organisée est pourtant pleinement dans l'esprit rugby ! C'est un "message expansif, démonstratif, presque m'as-tu-vu, très détendu, roulant des mécaniques" comme le déclare le philosophe et maître de conférences Baptiste Morizot. Un club de rugby s'assimile à une bande, un groupe d'animaux vivant et se déplaçant ensemble, soudé et presque menaçant.
"Du dedans, on est plus forts. Du dehors, une bande fait peur", Baptiste Morizot au sujet du morceau Bande organisée.
Chaque club aime à s'identifier de la sorte et ce morceau arrivé les deux pieds en avant dans les clubs houses est un cri d'attachement au territoire, certes de la cité phocéenne. Mais par procuration, les rugbymen se sont identifiés à ces Marseillais, à "ce lien charnel" comme le décrit si bien Morizot. Souvent, une chanson suit toute une saison d'un club. Aujourd'hui, bande organisée rassemble une bonne partie des clubs.
En cette période de crise sanitaire, où le rugby a été stoppé durant de longues semaines, avec une reprise difficile, l'amoureux de ballon ovale avait besoin d'une "initiative" qui soude. Il s'est raccroché à la première venue, à un morceau de rap. Imaginez-vous reprendre le rugby, sans club house, sans vestiaires, sans poignées de mains ou de bises, seulement le terrain. Les licenciés se sont jetés amoureusement sur ce nouvel hymne rassembleur. Un bien pour le rugby aujourd'hui. Un mal pour les conservateurs qui se positionnent en garants des valeurs. "En bande organisée, personne ne peut nous canaliser", se répètera longtemps.
