Entraîner faisait-il partie de tes plans de carrière ?
Dans un premier temps non mais quand je regarde en arrière sur le joueur que j'étais, j'avais quand même ce trait de caractère-là. Je me posais tout le temps des questions sur les entraînements, sur leur contenu, sans pour autant remettre en question les entraîneurs. Je me mettais à leur place en me demandant par exemple si j'aurais fait cet exercice de la même manière. Et puis j'étais aussi du genre à prendre les jeunes sous mon aile. Ce sont de biens grands mots mais je faisais attention à leur enlever un peu de pression avant les matchs comme avec Mathieu Babillot. Il avait 18 ans lors de ses premiers matchs avec nous. Je lui disais qu'il n'avait pas de pression à avoir. C'est à nous de la supporter. Qu'il joue simplement au rugby et nous amène cette fougue de la jeunesse. J'étais vraiment dans cette démarche d'accompagnement.
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Quel genre de coach penses-tu être ?
Certains joueurs ont besoin de beaucoup de discussion, de comprendre tout ce qu'on propose. Alors que d'autres s'en foutent complètement et veulent seulement gagner. J'essaie de faire en sorte d'adapter mon discours en fonction de chacun. C'est pas simple mais pas non plus impossible. Je suis très ouvert. Je suis capable de discuter de tout, de revenir sur des choses que j'ai décidées auparavant si ça ne correspond pas aux joueurs, à l'état d'esprit et à leur niveau. En règle générale, je suis du genre à laisser les joueurs dans leur bulle avant les matchs tout en allant les chercher individuellement s'ils en ont besoin. Et de temps en temps, un bon discours ça fait du bien. Tout le temps non car on rentre dans la routine et c'est redondant. Du coup, on n'est plus dans l'efficacité.
Et les coups de casque dans le vestiaire ?
De temps en temps oui (rires), mais ça dépend de la situation. Il n'y a pas besoin si tu mets 40 points à tout le monde les six premiers mois. En revanche, si les mecs perdent un peu l'état d'esprit et qu'ils la jouent un peu cool, je suis capable de resserrer la vis.
Comment as-tu débarqué à Chambéry ?
C'est le SOC qui est venu vers moi, et ça s'est fait rapidement en l'espace de trois semaines. Ça faisait trois ans que "j'étais sur le marché". J'avais une optique de construction car je pars du principe que lorsqu'on attaque un nouveau travail, on ne rentre pas tout de suite dans le milieu. À moins d'être vraiment calé. Chose que je n'étais pas. Il a fallu que je mette toutes mes idées à plat. Que je théorise tout ce que j'avais dans la tête. Le plus dur à faire quand on passe de l'autre côté c'est de cadrer les idées. J'étais plutôt concentré sur mes diplômes dans un premier temps. Et à la fin de mes études, j'ai eu un appel du pied de Chambéry et notamment d'Antoine Nicoud avec qui j'ai joué à Béziers.
Comment s'est passé son confinement ?
J'ai passé le confinement à Perpignan car je suis originaire de là-bas. J'ai appris l'arrêt de ma carrière le jour de mon déménagement. La question s'est alors posée : "qu'est-ce qu'on fait, où va-t-on ?" Un confinement plutôt studieux tel un adolescent car j'ai passé mon DES en vue des certifications qui arrivaient en mai. Pas trop de détente donc et pas vraiment le temps de profiter de la famille. Je suis sur Chambéry la semaine et je descends le week-end la famille n'est pas encore montée. La situation va être un peu compliquée pendant quelque temps mais ça va se régler.
Quelles sont les ambitions du club et les tiennes ?
Pour commencer, c'est l'échelon parfait en termes de construction personnel. C'est un groupe demandeur qui a besoin de travailler et avec lequel on peut accomplir des choses. Il n'y pas d'ego et d'internationaux à gérer. Ils ont un projet à moyen et long terme avec l'objectif de figurer au mieux dans cette compétition. Si les portes s'ouvrent, on ne les refermera pas. Et si elles ne s'ouvrent pas, on fera en sorte de les ouvrir. C'est un projet qui est en pleine construction. Mais on ne joue pas au rugby pour juste amener du monde et faire le spectacle. On joue pour gagner.
Que penses-tu de ce nouveau championnat ?
C'est une bonne idée. À voir dans le temps comment cette nouvelle division se structure. Il y avait trop de différences en Fédérale 1 entre les clubs pros et les clubs amateurs. Les joueurs étaient en danger. Il faut retrouver un peu d'homogénéité dans chaque division. Cette ''Pro D3" permet justement de mettre les équipes structurées professionnellement face à face. La Fédérale 1 était complètement hétérogène. Je connais des clubs comme Céret, qui fait du très bon boulot et tire son épingle du jeu. Mais quand tu joues face à des budgets de 4 millions, c'est compliqué. À Céret, il n'y a que des pluriactifs. La marche est trop haute, donc ça permet de la réduire avec la Pro D2 pour éviter l'ascenseur entre les divisions. Cette division est aussi intéressante pour faire jouer les jeunes. En Top 14, tous les clubs cherchent à avoir deux équipes. Mais beaucoup de jeunes restent sur le carreau.
On a vu que la Nationale était aussi très attractive pour les pros.
C'est normale car elle a été un peu créée du jour au lendemain. Il a fallu faire un recrutement efficace. Sans oublier que le confinement à tout bloqué. On ne savait pas trop comment ça allait se passer. À Chambéry, on cherche encore à recruter des jeunes, tricolores, à potentiel pour qu'ils nous amènent quelque chose. Le manager Antoine Nicoud aurait préféré que le recrutement soit bouclé depuis un petit moment. C'est comme ça, on s'adapte. L'année prochaine on fera en sorte d'être plus actif. Et le marché pourrait être mouvementé car ce championnat donne aussi une chance à des "jeunes retraités", qui n'ont pas vraiment envie d'arrêter mais qui sont remplacés par des jeunes en Top 14 et Pro D2, de continuer un an ou deux en Nationale. Pour les clubs, c'est un plus car ces anciens pros amènent du professionnalisme et une vision intéressante pour les jeunes qui viennent de Fédérale.
Le rugby pro est-il trop exigent ?
C'est difficile comme question. Ce dont je suis sûr, c'est qu'on est à moment charnière pour le rugby. Il va y avoir un changement de direction. Reste à savoir quel chemin il va choisir. Le confinement a fait ressortir les faiblesses de notre sport, de notre professionnalisme et de notre économie. Il tire les jeunes vers le haut niveau mais ils sont de plus en plus nombreux. Et il n'y a pas de place pour le monde même si les clubs cherchent à avoir deux équipes compétitives.
Dans quelle mesure ta maladie a-t-elle impacté ta carrière ?
J'ai passé trois ans pas simples après l'arrêt de ma carrière. J'étais au chômage, et même si ce n'est pas le chômage de monsieur tout le monde, on ne va pas se mentir, un jour ça s'arrête. Le cancer, l'arrêt brutal de ma carrière et cette période n'ont fait conforter ma façon de penser. À savoir qu'on est heureux que lorsqu'on a envie de l'être : on vit le moment présent, on apprécie les personnes avec lesquelles on vit, le milieu dans lequel on se construit. Certain ne choisissent pas ce milieu mais si c'est le cas, on change de fonctionnement, de façon de vivre et on y arrive. J'ai toujours eu cette mentalité de me dire : soit positif et le positif arrivera. Si tu es négatif, ce sera le contraire.
Le témoignage émouvant de la femme de Brice Mach après sa retraite forcéeJ'ai eu un cancer, puis j'ai été contraint d'arrêter ma carrière. Tu dois te dire "où est le positif dans tout ça ?" Le positif, c'est que j'ai des amis qui sont exceptionnels, une famille qui est extraordinaire. Dans ces moment-là, c'est important d'avoir de la stabilité. On est un milieu où l'instabilité est plus présente que la stabilité. Avec mes proches et ma famille, on a réussi à construire une stabilité qui m'a permis d'aller chercher cet épanouissement. Aujourd'hui j'arrive à vivre de ma passion. C'est très bâteau mais je ne suis pas dans les mines. Je ne me lève pas à 6h du matin pour faire du travail à la chaîne mais aller au stade. Je trouve qu'il y a pire dans la vie.
Est-ce que tu arrives à comprendre ces joueurs qui raccrochent ou bien qui tirent un trait sur les Bleus avant 30 ans ?
Je ne suis pas à leur place donc je ne peux pas les comprendre. Je ne connais pas leurs vraies motivations. Ce qui est sûr, et ça va faire vieux con, mais quand je jouais et encore maintenant, c'est que quand tu te lances dans un projet, tu y vas à fond. Une résilience forte doit s'instaurer. On n'abandonne jamais. On est dans un milieu de performances, d'objectifs et pas de loisirs, même si la première arrive avec la confiance et le plaisir. Ce qui veut dire qu'il faut se surpasser tous les jours. Si c'est se surpasser pour rester dans sa zone de confort, c'est pas quelque chose qui m'intéresse. Pour moi, la résilience fait partie du sport de haut niveau. Quand on se compare aux autres nations, j'ai l'impression qu'elles sont présentes à ce niveau-là.
Le titre de 2013 avec Castres est-il ton meilleur souvenir de rugby ?
C'est un de mes meilleurs. Je me suis efforcé dans ma carrière et ma vie de profiter du moment présent. C'est à la mode en ce moment. J'étais peut-être avant-gardiste sur ça. Quand j'ai été malade, Laurent Travers et le staff m'ont demandé si je voulais le dire au groupe. Car c'était ma décision. Je leur avais répondu "non on ne dit rien et je reviendrai sur le terrain comme si de rien n'était". C'est ce qui s'est passé. Mais j'ai mal géré ma communication car au final, 90 % du groupe a appris dans les journaux que j'avais eu un cancer. Je ne voulais pas en parler car ça reste ma vie privée. Le terrain c'est le terrain. J'ai battu cette maladie et ça m'a poussé à décrocher un titre de champion de France, à avoir quelques sélections. Je prends autant de plaisir à me souvenir du titre que des parties de cartes, des clubs par lesquels je suis passés, les amitiés. Je peux m'émerveiller des très petites choses à partir du moment où ça a du sens.