C’est une nouvelle dont se serait bien passé le microcosme du rugby argentin. Quinze jours après la victoire historique face aux All-Blacks, encensés dans le monde entier pour leurs vertus de solidarité entrevues, la chute a été brutale pour des Pumas plus que jamais dans la tourmente. Déjà, car balayés par ces mêmes adversaires (38-0), les hommes de Mario Ledesma ont définitivement dit adieu à leurs maigres espoirs de victoire finale à l’issue du Rugby Championship 2020. Surtout, la bande de Pablo Matera a été au cœur d’une polémique grandissante en Argentine. Dans une semaine de deuil national marquée par la mort de l’icône d’un pays, l’ex-footballeur Diego Maradona, les Pumas ont été vivement critiqués par les observateurs de la sélection nationale. La cause ? Un hommage jugé trop « tiède », sobre, loin de la passion que pouvait déchaîner « el Pibe de Oro ». L’aubaine était alors trop belle pour relancer la vive polémique qui frappe le pays entre la classe populaire plutôt destinée au foot et les élitistes qui se dirigent en majorité vers le ballon ovale.
Le contingent argentin se charge alors de s’excuser illico presto. Un répit de courte durée. Quelques heures plus tard, voici de nouveau les Pumas dans l’œil du cyclone. Les premières informations sont tombées dans la soirée de lundi. Des tweets xénophobes, misogynes datant majoritairement de 2011 et 2012 ressortent alors du placard. Les auteurs de ces derniers ? Ni plus ni moins que l’actuel capitaine de la sélection et joueur du Stade Français Pablo Matera, le deuxième-ligne de l’UBB Guido Petti et le joueur des Jaguares Santiago Socino. La nouvelle prend alors de l’ampleur, et s’étend au-delà du pays latino-américain. Le monde du rugby s’accapare cette histoire. Des propos qui provoquent un tollé tant sur les réseaux sociaux que sur les différents sites locaux. Matera ne tardera pas à réagir et à se confondre en excuses : « Je suis désolé pour toutes les personnes qui ont été offensées par les horreurs que j’ai écrites. Je dois aujourd’hui assumer la responsabilité de ce que j’ai écrit il y a neuf ans. Je veux également présenter mes excuses à mon équipe et à ma famille pour ce qu’ils vivent du fait de mes actes. » La Fédération Argentine de Rugby se montre quant à elle intransigeante. Elle suspend ses trois joueurs de la sélection nationale et retire donc par la même occasion le brassard de capitaine au troisième ligne.
Le spectre du meurtre de Fernando Baez
Une affaire qui a du mal à passer. Et pour cause, le rugby argentin traverse aujourd’hui des heures sombres. Souvent stigmatisé comme étant une pratique réservée aux classes les plus riches, aux antipodes du foot symbole du peuple, le rugby est la cible de vives critiques en Argentine. En février dernier, le meurtre de Fernando Baez, jeune homme de 18 ans émeut le pays. Alors qu’il sort de boîte de nuit, l’adolescent est pris à partie par un groupe de rugbymen, licenciés au Club Nautico Arsenal, avec qui il avait déjà subi un différent à l’intérieur de l’établissement. La rixe dégénère alors et tourne au drame, puisque passé à tabac par les huit protagonistes, Fernando Baez décèdera à la suite des coups reçus. La presse locale s’empare alors de l’affaire sous fond de discrimination sociale. Les rugbymen auraient déclaré « on va te tuer, racaille de merde ».
Alors la sortie de ces tweets, certes vieux de neuf ans, a laissé rejaillir de vieux démons au sein du pays sud-américain. La presse argentine se montre d’ailleurs sans équivoque au sujet des trois joueurs : les sanctions doivent être exemplaires. Une affaire qui dépasse par ailleurs les frontières du sport, puisque le Ministre argentin du Tourisme et des Sports Matías Lammens s’est exprimé sur le sujet comme le relai le site sportif Olé : « J'ai parlé avec le président de l'UAR (Marcelo Rodríguez) parce que cela m'inquiète beaucoup et parce que ce n'est pas nouveau. La sanction est exemplaire mais le problème est beaucoup plus profond. » Avant de poursuivre sur Futurock, radio locale : « La solution ne sera pas seulement dans la punition, ce truc de rugby est beaucoup plus profond et nous devons travailler dur. » Sans oublier de rappeler la macabre histoire du début d’année : « nous venons d'une année qui a commencé avec le meurtre d'un garçon aux mains de joueurs de rugby ». Des propos qui ne devraient rien arranger à une situation déjà préoccupante. Le Secrétariat au sport dirigé par Inés Arrondo se montre d’ailleurs lui aussi intransigeant sur les faits reprochés : « Le Secrétariat national des sports exprime sa préoccupation et sa douleur face aux messages discriminatoires exprimés, via les réseaux sociaux, par plusieurs joueurs de notre équipe nationale de rugby il y a quelque temps. Bien que les expressions datent de plusieurs années, elles sont extrêmement graves en raison de leur contenu misogyne et raciste. Porter le maillot de notre pays, c'est bien plus que jouer, et ces paroles ne doivent pas être négligées. Nous travaillons quotidiennement pour construire le sport argentin dont nous rêvons, juste, sûr, exempt de violence et de discrimination. »
Une situation à laquelle a tenu à réagir l’ancien Pumas Serafín Dengra sur La Red. L’ancien pilier symbole de la sélection argentine au cours des années 80 et passé par Bourgoin notamment a laissé éclater sa colère sur la radio locale tant pour l’hommage à Maradona que sur les tweets racistes : « Ce qui m'a rendu le plus triste, c'est l'hommage qu'ils ont rendu à Maradona. L'exemple des All Blacks m'a surpris. Je le regardais à la télé et mes muscles se sont contractés, j'étais pétrifié […] Diego a toujours soutenu notre sport, il a toujours été avec nous. Je ne peux pas croire que personne n'ait eu la tête de penser à un autre hommage. Diego est Dieu. Le respect est la chose la plus importante. Je pense que les garçons étaient très concentrés sur le jeu. Mais il y a des leaders qui ont aussi pensé à faire autre chose... Je n'aime pas lancer des bâtons mais je ne peux pas me taire non plus. Maradona a toujours été notre ami. Il est le porte-drapeau du sport argentin. » Puis de se montrer pour le moins virulent envers les trois fautifs : « C'est fou qu'ils aient été envoyés il y a huit, neuf ans ... Ce n'est pas du rugby. Je ne suis pas du tout d'accord, c'est terrible. Les messages sont passés, je pensais que c'était une blague. Je ressentais beaucoup d'impuissance et cela m'a rendu triste. J'ai toujours essayé de rendre le rugby plus populaire, je ne suis pas un élitiste. Je ne comprends pas. Ce sont des connards. »
Des mots durs qui témoignent de la déception ressentie à l’annonce de la nouvelle lui qui ne se reconnaît pas dans de tels propos. Il fait par ailleurs amende honorable de son sport malgré les différentes crises qui le frappe : « Le rugby n'est pas ça. C'est un travail d'équipe. L'été s'est aussi passé avec le garçon qui a été tué à Gesell ... Le rugby n'est pas tout comme ça. La plupart des gens sont très bons et très nobles dans ce sport. Le rugby m'a aidé à me former en tant que personne, il m'a toujours donné de bons exemples. Il y a dix ans, ces gars-là étaient un peu fous ». L’ancien gardien de but du Paraguay José Luis Chilavert s’en est également pris sur Twitter à l’ex-capitaine argentin, qui avait tenu des propos à l’encontre des Paraguayens et Boliviens : « M. Pablo Matera, les Boliviens et les Paraguayens sont des gens honnêtes et travailleurs, mais pas racistes. Vous faites beaucoup de mal au rugby et à votre beau pays. Tu n'as rien gagné. »
Pichot et Creevy temporisent
Si Matera, Petti et Socino se sont donc attirés les foudres de la plupart des suiveurs avisés du ballon ovale, ne réconciliant pas une partie des Argentins avec leur sport, ils ont pu en revanche recevoir le soutien modéré de plusieurs anciennes figures emblématiques des Pumas. C’est le cas d’Agustín Pichot, ancien capitaine et demi de mêlée aux 71 sélections. S’il n’excuse pas les paroles, le « Petit Napoléon » croit en revanche au changement des trois joueurs : « Je crois en leur regret et en leur maturité depuis qu'ils l'ont écrit. Nous devons continuer à faire une profonde autocritique dans notre sport ; cette année, il montre que nous devons continuer à nous améliorer. » Avant, à l’instar de Dengra, de prôner les valeurs essentielles du rugby : « Pour moi, le rugby se ne sont pas les atrocités que je lis ou j'écoute ; pour moi, le rugby est quelque chose d'incroyable et qui aide beaucoup de gens à essayer d'être de bonnes personnes mais aussi des athlètes. Notre autocritique doit être faite maintenant. »
Olé rapporte également les paroles de l’ancien ailier Horacio Agulla, membre avec Pichot de la fameuse équipe de 2007, troisième à l’issue du Mondial français : « Les tweets de mes amis Pablo Matera et Guido Petti ne sont pas justifiés. Mais ils datent de neuf ans, ils se sont déjà excusés, les gens grandissent, mûrissent et s'améliorent. » Un soutien également prodigué par Mathias Moroni actuel joueur des Pumas : « Maintenant, trois joueurs de l'équipe sont suspendus pour des actes d'il y a plus de 8 ans, s'étant déjà excusés. Je connais Pablo, Guido et Socino, je peux attester qu'ils ne pensent pas comme ça et donnent tout pour Los Pumas. » Avant de rendre hommage à Pablo Matera : « Les gens ne peuvent-ils pas changer ? Regretter ? Ce n'est pas juste et je ne justifie pas ce qu'ils ont écrit à cet âge. Cela a été rectifié et je peux attester qu'il ne le pense pas ! Aujourd'hui Pablo Matera est mon ami et mon capitaine ! »
Agustín Creevy, ancien capitaine des Pumas a lui aussi tenu à temporiser les choses : « Je connais Pablo, Guido et Santiago, et je sais qui ils sont aujourd'hui. Les tweets dégoûtants qu'ils ont écrits il y a neuf ans ne les représentent pas du tout. Eux-mêmes ils l'ont reconnu, ils ont eu honte et ils se sont excusés. Tout le monde fait des erreurs, et les athlètes n'en sont pas exemptés. » Avant de lutter contre cette guerre des classes qui frappent le sport argentin. Creevy, marqué par la stigmatisation du sport, compte prouver qu’il ne faut pas forcément être un élitiste pour pratiquer aujourd’hui le rugby en Argentine. Des messages qui n’apaiseront sans doute pas dans l’immédiat la tempête qui touche aujourd’hui les Pumas. Matera et Petti seront d’ailleurs convoqués dans leurs clubs respectifs à leur retour en France. Placés sur un piédestal il y a à peine quinze jours, les Pumas connaissent actuellement un revers douloureux.