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Anthony Boric, le champion du monde oublié

Champion du monde en 2011, Anthony Boric est un héros de l'ombre, que le monde du rugby ne doit pas oublier.

Clément Suman 10/06/2020 à 18h00
Anthony Boric, le champion du monde oublié.
Anthony Boric, le champion du monde oublié.

Ils s’appellent Dan Carter, Richie McCaw, Sean Fitzpatrick, John Kirwan ou Sonny Bill Williams. Leur point commun ? Avoir marqué l’histoire des All Blacks, et atteint le Graal dont rêvent tous les rugbymen : soulever la Coupe du monde. Dans un pays obsédé par le sport qu’inventa un jour William Webb Ellis, l’exploit est de taille, les Kiwis ayant passé vingt-quatre ans sans pouvoir inscrire leur nom au palmarès de la plus prestigieuse des compétitions… Logique, donc, que les membres des générations 1987, 2011 et 2015 soient devenus de véritables héros

Mais tous n’ont pas l’aura d’un Richie McCaw. Comme lui, Anthony Boric était là en 2011. Pourtant, on aurait presque tendance à l’oublier…

De l’aile à la cage

Avec un nom pareil et du sang croate, on l’imagine briller sur un terrain de football comme Luka Modric, ballon d’or 2018. Mais si son physique (2m ; 110 kilos) l’aurait plutôt condamné à jouer défenseur central, Boric a finalement choisi le rugby : logique quand on naît du côté d’Auckland, la ville la plus peuplée de Nouvelle-Zélande. Un pays où, dit-on, les moutons sont plus nombreux que les habitants. Et où ces habitants grandissent tous avec un ballon ovale dans les mains.

Enfant, alors qu’il aide ses parents dans l’exploitation agricole familiale, son idole s’appelle pourtant Goran Ivanisevic, joueur… de tennis. Comme son grand-père, lutteur professionnel, le (pas vraiment) petit Anthony se tourne finalement vers un sport de combat, gravissant les échelons nationaux comme 2e ou 3e ligne plutôt qu’ailier, le poste de ses débuts. Futur diplômé en ingénierie, il débute en NPC avec la province de North Harbour et tape dans l’oeil des Blues, la franchise d’Auckland en Super Rugby. Avec son casque, il forme une paire avec un certain Ali Williams, aussi efficace sur Rugby 08 que dans la vraie vie.

Nous sommes en 2006, et c’est le début de l’ascension.

1074e All Black

Un an plus tard, les Néo-Zélandais subissent un immense traumatisme. Ultra-favori du Mondial en France, les hommes de Graham Henry sortent dès les quarts de finale face aux Bleus de Bernard Laporte. Si le sélectionneur reste en place, des changements s’imposent. En 2008, seize joueurs effectuent leur début avec le maillot frappé de la fougère argentée. Parmi eux, Ben Franks, Kieran Read, Liam Messam… et Anthony Boric, qui devient le 1074e All Black lors d’un test estival contre l’Angleterre. Quelques mois plus tard, il inscrit son premier essai face à l’Ecosse. La machine est lancée !

Vainqueur du Tri Nations en 2008 et 2010, Boric a pourtant du mal à s’imposer réellement dans la rotation où Brad Thorn, et l’éternel Ali Williams sont les patrons, quand Sam Whitelock commence à se révéler. 

En 2011, une blessure au pied le prive du dernier Tri Nations, amené à devenir le Rugby Championship. Préféré au futur Montpelliérain Jarrad Hoeata pour sa mobilité, Boric intègre la liste in extremis, et obtient le droit de défendre les couleurs de son pays lors de la Coupe du monde. 

Ombre et lumière

Dans l’ombre, Boric évolue en plus au poste le moins médiatique du rugby moderne… Durant la campagne victorieuse des Kiwis, le 2e ligne aura pourtant droit à quelques instants dans la lumière. D’abord cinq minutes lors du match d’ouverture face aux Tonga. Puis huit contre le Japon et la France, toujours lors du premier tour. Enfin, près d’une demi-heure lors de la dernière rencontre avant les phases finales, opposant les Blacks au Canada. Un match qui reste le dernier disputé par Boric avec les tout noirs, Henry ne faisant plus appel à lui.

Le 23 octobre 2011, dans un Eden Park d’Auckland qu’il connaît par coeur, c’est en survêtement qu’il fête la ligne la plus importante de sa carrière, et devient (presque) l’égal d’un McCaw. Les chiffres mentent, pas le palmarès.

Japon et fin de carrière prématurée

J’ai commencé à jouer chaque match, comme si c’était le dernier. Qui sait, c’est peut-être le cas.” Ses mots, rapportés par Stuff quelques mois avant le sacre, vont finir par trouver une résonnance particulière. Car la suite de sa carrière n’a pas mené Boric et les siens vers l’Europe, comme tant d’autres internationaux venus monnayer leur talent dans le Vieux Continent. Début 2012, il est victime d’une hernie discale qui le prive de rugby pendant près d’un an. “Mentalement, je n’ai plus jamais été le même joueur. J’ai réalisé combien nous étions vulnérables sur un terrain, je n’arrêtais pas de penser aux pires scénarios, comme finir dans un fauteuil roulant.” 

Dans les colonnes du NZ Herald, il explique que sa première blessure au cou date… de 2008, et sa 2e sélection sur la scène internationale. Quatre ans plus tard, un match de pré-saison face aux Bulls réveille la douleur. “Je n’ai pas eu de symptômes, j’ai continué à jouer. C’était assez stupide, mais avec l’adrénaline… Quand je me suis réveillé le lendemain, j’avais des fourmis dans les mains, et j’ai su que ça devenait grave.” Boric n’échappe pas à l’opération. S’il reporte le maillot des Blues, il pense à sa fin de carrière et rejoint le Japon, assumant pour Stuff que l’argent et cette blessure ont été déterminants au moment de signer chez les Mitsubishi Dynaboars, en 2e division. Son contrat de deux ans n’aura finalement pas été respecté, la faute à ce problème aux cervicales qui l’oblige à raccrocher les crampons à seulement 30 ans.

A quoi tient une carrière ? Parfois, à un simple match, une simple pénalité. Si François Trinh-Duc avait passé la sienne, l’Histoire aurait probablement (et définitivement) oublié Anthony Boric. Sacrant plutôt Luc Ducalcon au rang des champions du monde.

Et en 2019, quel champion du monde pourrait bien être “oublié” d’ici une dizaine d’années ? Chez les 2e lignes, personne ne semble correspondre au profil avec un quatuor Etzebeth - de Jager - Snyman - Mostert composé de stars. Thomas du Toit ou Warrick Gelant, en revanche...

Rupeni
Rupeni
Comme véritable Champion du monde oublié, il y a aussi Pauliasi Manu en 2015. Il a été appelé en cours de route pour remplacer Crockett blessé. Il n'a rejoint le squad que trois jours avant la finale, et n'a pas joué la moindre minute, mais il est cependant bien champion du monde et a sa propre médaille. Là où son cas diffère de Shaw (2003) ou Gear (2011), eux aussi champions du monde sans jouer, c'est que Manu n'a jamais été international. C'est, je crois, le seul champion du monde n'ayant jamais joué en équipe nationale.
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